Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/302

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Voyant que le bonhomme hésitait et ne savait plus quelle contenance garder, à cette invitation inattendue, la Pomme se leva, battant des mains et criant :

— Bravo ! vive monsieur Lenoir ! vive le père Pinson ! À table, à table, le père Pinson !

Tous firent chorus.

Et le jeune Arthur ajouta de sa voix la plus grave :

— À table ou sur la table, avant d’aller sous la table !

Quand le tumulte fut un peu calmé, le vieux sergent refusa poliment sous le prétexte de son service, et des côtelettes qu’il lui fallait surveiller.

— On s’en charge, dit la Pomme. Venez vous asseoir.

— Je vous en prie, sergent, reprit le commis-voyageur.

Et d’un clignement d’œil significatif qu’il lui lança par-dessus ses lunettes, il lui fit comprendre que sa prière pouvait bien équivaloir à un ordre.

— Par obéissance, fit le vieux soldat.

Et il prit place entre la Pomme et Pâques-Fleuries.

— Est-ce que nous vous faisons peur ? lui dit doucement cette dernière.

— Oh ! mademoiselle !…

— Peur ! à un ancien de son poil…, répondit Arthur.

— Quel âne vous faites ! s’écria la Pomme en interrompant Arthur, qui avala de travers et s’étrangla. Ne l’écoutez pas, mon petit père…, c’est bête, mais ce n’est pas méchant… Il ne faut pas le juger au parler… ce n’est pas sa faute… c’est un défaut de naissance.

— La Pomme ! hurla l’étudiant piqué au vif.

— Je vous ai défendu de m’appeler comme ça, d’abord.

— Rosette, vous… Et il se remit à tousser.

— Je…, quoi ?… après ?… regardez le plafond… Cela va-t-il mieux ? Non. Attendez.

Tout en parlant, elle lui appliqua de sa petite main fermée un coup de poing à ne pas déshonorer un apprenti boxeur.

Arthur se trouva guéri instantanément de son étouffement, mais il poussa un cri de douleur causé par la violence du coup.

— Ah ! vous n’êtes jamais content, fit la Pomme en riant de ses trente-deux petites quenottes.

Le jeune homme, qui s’était levé machinalement, se rassit au milieu des rires de l’assemblée.

Mais il grommelait entre ses dents de sourdes menaces à l’adresse de son adversaire féminin et lançait des regards furibonds au vieux soldat, qui mangeait avec la plus grande tranquillité.

— Patience ! j’aurai mon tour… murmura-t-il à l’oreille de son voisin.

Ce voisin était M. Lenoir, qui rit silencieusement.

On venait de finir les huîtres.

On attaqua le vin blanc et la fameuse omelette.

Pendant que les fourchettes causaient, gaiement avec les assiettes, qu’elles picotaient, Arthur, sur les lèvres de qui s’esquissa un sourire sournois, se leva, et s’adressant au vieux concierge, cause de sa mésaventure :