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On enleva la chaise d’Arthur.

On s’écarta un peu.

Tout fut dit.

Plusieurs fois le concierge essaya de se lever pour faire le service de la table.

Chaque fois, Rosette et Pâques-Fleuries le prévinrent.

— Ne vous occupez pas de ces détails-là, disait l’une.

— C’est nous que cela regarde, père Pinson, disait l’autre.

Il fallut bien en prendre son parti.

De son côté, M. Lenoir n’oubliait pas que le devoir de tout commis-voyageur de première classe est d’animer, d’égayer, au besoin même de créer la conversation.

Il se surpassa.

Il mit sur le tapis, avec une verve sans pareille, les péripéties plus ou moins gaies de sept ou huit-cents voyages sur mer et sur terre.

Pâques-Fleuries et Adolphe écoutaient.

La Pomme lui donnait la réplique.

Le vieux sergent buvait, mangeait et approuvait du bonnet, c’est-à-dire du sommet de son occiput.

Entre autres questions faites par la Pomme :

— Le bon pâté de foie gras ! Ce n’est pas à Paris que vous l’avez acheté ?

— On ne peut rien avoir de meilleur, répondit M. Lenoir.

— Il vient ? demanda-t-elle.

— De Strasbourg, en droite ligne.

— Ça coûte ?

— Dix-huit cents francs de bénéfice.

— J’en achèterais bien un millier à ce prix-là, fit-elle en riant… Comment vous y êtes-vous pris ?

— Oh ! mon Dieu ! bien naïvement, répondit M. Lenoir. Je l’ai racheté, en lui donnant cinq francs de plus que le prix d’achat, à un vétérinaire alsacien qui faisait route avec moi.

— Bon ! cela ne m’explique pas les 18…

— Non, mais voici qui va vous faire comprendre la chose. De fil en aiguille ou de pâté de foie gras en cigares de la Havane, je suis parvenu à coller à mon dit vétérinaire une commande de jambes de bois assez forte pour me faire gagner ladite somme, plus les cinq francs de mon foie gras.

Il n’est pas de bonne compagnie qu’il ne faille quitter.

De récit en récit, de conte en histoire, de calembour en coq-à-l’âne, les convives de M. Lenoir arrivèrent au dessert sans trop se rappeler qu’on avait expulsé, avec tous les déshonneurs de la guerre, un pauvre diable de mauvais plaisant nommé Arthur Blancas.

Adolphe Rével, son camarade en Ducaurroy et Duranton, osa seul avancer une proposition craintive en sa faveur.

L’écho se tut.

Il fit comme l’écho.

Le père Pinson servit le café et les liqueurs.