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seconde, comme l’autre l’avait espéré ; mais, au lieu d’une parade simple, il en fit une double.

Mauclerc, toujours fendu, essaya en vain de remiser son coup, et pendant qu’il cherchait à se relever, à reprendre son équilibre et à rompre, son ennemi lui allongea un coup droit en plein corps.

— Ah ! la liste !… la liste !… put à peine articuler le misérable.

Et il s’affaissa sur le sol, ou il demeura immobile.

L’épée vengeresse de d’Entragues avait traversé ce papier qui devait envoyer ses frères, ainsi que l’avait dit René de Luz, à l’échafaud ou tout au moins dans un exil perpétuel.

— Est-il mort ? demanda Rioban.

— S’il en revenait, ce serait triste, répondit d’Entragues, qui, se penchant sur le corps de Mauclerc, s’empara d’une enveloppe sanglante et contenant la preuve de son infamie et de sa trahison.

— Laissons-nous le corps ici ? fit San-Lucar.

— Non, repartit Mortimer, accomplissons nos ordres jusqu’au bout.

— Soit.

Au moment où deux d’entre eux se baissaient pour prendre le corps et le porter jusqu’à la voiture, une voix à peine distincte murmura ce mot :

— Attendez !

Les quatre témoins des deux scènes précédentes se retournèrent stupéfaits, et ils assistèrent au spectacle horrible, mais vrai, que nous allons décrire :

René de Luz, le blessé, l’agonisant, profitant de la liberté que lui laissaient ses amis, dont toute l’attention s’était reportée sur les derniers moments de Mauclerc, René de Luz, se traînant jusqu’au corps de celui-ci, lui prit la tête d’une main, tout en se soutenant de l’autre, et, approchant sa bouche de l’oreille du vaincu :

— Tu devais laver ta joue dans le sang de l’homme qui t’avait frappé au visage, Mauclerc : cet homme, c’était moi. Tu ne l’as pas fait. Tu as menti en cela, comme dans tout le reste. Mais tu m’as souffleté, et ce que tu as dit, je le ferai.

Et sur ce, René de Luz trempant sa main dans le sang de Mauclerc, se lava la joue souffletée, et cette joue toute rouge et ruisselante, par un suprême effort il se dressa debout, seul, sans secours, et d’une voix fière et vibrante :

— Mes amis, cria-t-il, croyez-vous que mon honneur me soit rendu ?

Et il tomba de toute sa hauteur sur la terre humide et sanglante.

Quels sont ces hommes ? Vers quel but inconnu marchent-ils ? Nous le saurons dans le courant de cette longue histoire. Mais, à coup sûr, le but ne peut être que grand et terrible. Ces hommes vont droit devant eux, broyant tout sur leur passage, jouant avec la mort, qui seule peut les arrêter en chemin.

Quelques minutes plus tard, une des voitures emportait René de Luz dans les bras de ses amis en deuil.

L’autre contenait, avec le corps de Mauclerc, roulé dans une couverture de cheval, deux hommes masqués.