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son épée jusqu’à la garde dans la poitrine du malheureux jeune homme.

— Lâche ! aussi lâche que traître ! murmura celui-ci en tombant, lâche !

— À un autre, fit Mauclerc, pendant que Mortimer et San-Lucar secouraient René de Luz.

Et il essuya tranquillement son épée dégouttante de sang, en l’enfonçant dans la terre humide.

D’Entragues prit l’arme qui venait d’échapper à la main défaillante du blessé.

— Ce sera moi, si vous voulez ?

— Vous, mon témoin ? ricana l’autre. Soit. Venez, que je vous paye la peine que vous avez prise de venir jusqu’ici.

Cette fois, les fers se croisèrent jusqu’à la garde ; les deux tireurs firent en même temps un pas de retraite, puis, revenant l’un sur l’autre, ils s’attaquèrent avec fureur.

Mauclerc sentit qu’il avait trouvé un adversaire redoutable.

Il redoubla de soin, de force et de vitesse.

Mais, comprenant que le baron venait d’étudier son jeu, il en changea, et prit une garde en tierce, usitée surtout par les duellistes italiens ou espagnols.

C’était un étrange et sinistre spectacle que celui de ces deux hommes aux traits pâlis par la colère et la haine, qui se tâtaient, s’épiaient froidement, pliés sur leurs jarrets, prêts à s’élancer l’un sur l’autre, à s’entre-déchirer comme deux tigres.

À leur droite, un groupe composé des deux dominos, qui soignaient et soutenaient un blessé, un mourant peut-être…

À leur gauche, un jeune homme, le vicomte de Rioban, le cigare aux lèvres, attendant que son tour vînt.

Et au-dessus de leur tête, la lune blafarde, cette vieille curieuse, éclairant de ses rayons argentés ces monceaux de pierres tristes comme des ruines centenaires.

Un silence de mort planait sur toutes ces têtes. On n’entendait d’autre bruit que le froissement de l’acier contre l’acier et les appels de pied des combattants.

Les épées sifflaient comme des serpents : dégagements, coups droits, battements, coupés, toutes les finesses, toutes les ressources de l’escrime étaient mises en pratique par ces deux hommes, qui semblaient avoir eu le même maître.

Mauclerc, plus grand, plus robuste, sentant qu’il fallait en finir avec ce second adversaire, et en finir promptement, s’il ne voulait pas donner la partie trop belle à celui qui lui succéderait, se décida à mettre à profit sa taille et sa vigueur.

D’Entragues, qui lisait dans son regard, s’arrêta, l’épée haute et prêt à riposter, sur une parade de seconde.

Mauclerc se fendit, rapide comme la foudre.

— Il va parer seconde ; je remise et je le tue, murmura-t-il à part lui.

Un fin sourire se jouait sur la lèvre du baron d’Entragues. Il para bien