Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/326

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« J’obéis.

« Je le suivis, tout en tournant la tête vers la pauvre femme, qui était tombée assise, presque anéantie, sur un tronc d’arbre.

« Mon conducteur venait de mettre un masque sur son visage.

« Au moment où nous allions la perdre de vue, la femme cria :

« — N’oubliez pas les ordres que nous avons reçus, qu’on les suive à la lettre.

« Ces mots furent les derniers que je lui entendis prononcer.

« Mais je vous le répète, sa voix m’est tellement restée dans les oreilles qu’aujourd’hui encore, après tant d’années, après tant d’événements et de vicissitudes, je la reconnaîtrais entre mille.

« — Je n’oublierai rien, répondit l’homme masqué.

« — Puis, me prenant dans ses bras, il m’emporta.

« Je ne remuais pas. C’est à peine si j’osais respirer.

« La terreur m’avait si fortement saisie, que je me sentais paralysée.

« Il me semblait que nous marchions comme dans un rêve.

« Parvenu à la lisière de la forêt, l’homme s’arrêta.

« Il me mit pied à terre, et me prit par la main.

« À un second signal qu’il fit, plusieurs individus surgirent tout à coup de derrière les arbres qui les entouraient.

« La peur me quitta.

« Ces hommes, à l’aspect étrange, aux vêtements sordides, faits de pièces et de morceaux, mais bariolés et pittoresques, me rassurèrent malgré leurs traits farouches et leurs regards sauvages.

« Je n’étais plus seule avec le guide pour lequel je ressentais une si forte antipathie.

« Ils se tenaient immobiles, à quelques pas de nous.

« L’un d’eux, sur un signe de l’homme masqué, s’avança vers nous.

« — Êtes-vous prêts ? demanda celui-ci.

« — Toujours, répondit le sombre personnage.

« — Silence et nuit.

« — La nuit parlera et le soleil luira dans l’ombre.

« — Quand ?

« — Demain.

« Ces paroles, ainsi qu’on me l’apprit plus tard, étaient un mot d’ordre, sans lequel rien n’aurait été fait entre ces hommes qui disposaient de ma petite personne.

« — Lequel d’entre vous se nomme Jean Vadrouille ?

« — Moi, dit l’individu qui seul avait parlé.

« — L’affaire tient-elle ?

« — Elle tient.

« — Bien. J’apporte tout.

« — Où est l’or ?

« — Le voici.

« Et mon guide masqué remit une lourde bourse à Jean Vadrouille.

« — Candela ! fit l’autre, dans une langue que je sus plus tard être de l’italien.