Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/330

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« Cette troupe se composait d’une trentaine de membres, hommes et femmes, et d’une quinzaine d’enfants, tous ne dépassant pas dix ans.

« Je fis une remarque.

« Les hommes et les femmes avaient le teint bronzé, les cheveux noirs et plats.

« Ils parlaient entre eux un langage inintelligible, pour moi, à ce moment-là, car il ne me fallut pas longtemps pour le comprendre et le parler aussi facilement qu’eux.

« Les enfants, blancs, frais et roses, n’appartenaient en rien à leur race et à leur famille.

— Si, par hasard, vous vous trouviez face à face avec l’homme masqué qui vous a livrée à ces bohémiens, pensez-vous qu’il vous serait possible de le reconnaître ? demanda l’étudiant.

— Oui, dit Rosette sans hésiter, pourvu que j’entende sa voix.

— Vous l’avez revu ?

— Il est à Paris, J’en suis sûre.

— Comment cela ?

— Un matin, il y a environ deux mois, je passais rue Saint-Martin. On venait d’arrêter un voleur, pris la main dans le sac. Une foule considérable était là… Je m’approchai du rassemblement, tout en continuant mon chemin. Une voix frappa mon oreille. Je me sentis chanceler. Cette voix…

— C’était la sienne ?

— Oui. Je m’élançai, je voulus traverser la foule, me mettre au premier rang pour voir qui avait parlé. Il y avait trop de monde. Cela me fut impossible. Quand j’arrivai au premier rang, l’homme, la voix, le voleur, tout était parti.

— C’est étrange !… murmura M. Lenoir.

Rosette continua :

— La troupe était campée dans une clairière de la forêt.

« Les uns avaient allumé de grands feux et se chauffaient.

« Les autres dormaient.

« On m’entortilla dans deux couvertures de laine qui n’en étaient, pas à leur première campagne, et malgré le crève-eœur que je ressentais à me voir ainsi abandonnée au milieu de ces êtres sauvages et inconnus de moi, je fis comme eux, je m’endormis d’un sommeil profond.

« Le lendemain quand je m’éveillai, ou plutôt quand mes petit compagnons de bohème et d’infortune vinrent m’éveiller, il était grand jour.

« La tribu était sur pied.

« On n’attendait plus que moi pour se mettre en marche.

« Pour la première fois de ma vie, ma toilette fut faite en moins d’une demi-minute, le temps d’ouvrir les yeux, de secouer les flocons de laine qui s’étaient attachés à ma chevelure et de sauter sur mes jambes.

« On se mit en route.

« Au fond, Jean Vadrouille pouvait passer pour un bon homme. Il existait un cœur sous son épaisse enveloppe. La preuve en était dans la compagne