Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’est pas un de vous, messieurs, qui ne les connaisse depuis Pater jusqu’à Amen.

« Tout marcha comme d’ordinaire.

« Au relais de Saverne, la fatigue nous prit ; Pâques-Fleuries s’endormit.

« Je voulus résister au sommeil, qui m’envahissait aussi.

« Mais, vous le savez, rien de contagieux comme un bon où un mauvais exemple, dans un étroit espace comme celui-là, et le repos le plus absolu succédant aux secousses du voyage.

« Au lieu de descendre pour manger à la même table d’hôte que les autres voyageurs, nous avions un petit panier de provisions ; je ne pris même pas la peine de l’ouvrir, et, fermant les yeux comme ma sœur, comme elle je m’endormis.

« À notre départ de Saverne, le bruit des roues et le trot des chevaux nous réveillèrent.

« Nous n’étions plus seules.

« Une troisième personne venait de monter dans la rotonde. Cette troisième personne était un voyageur d’une quarantaine d’années, à l’aspect bourgeois, honnête et tranquille.

« Nous lui laissâmes la banquette de droite.

« Pâques-Fleuries vint s’asseoir près de moi.

« Jusqu’à Lutzelbourg, ce nouveau venu se tint dans le mutisme le plus complet ; puis, s’ennuyant sans doute, il nous adressa la parole, nous questionna, et comme nous n’avions rien à lui cacher, il apprit facilement tout ce qui nous concernait.

« Il eut l’air de s’intéresser à nous.

« Comme, jusqu’à ce moment, nous n’avions eu qu’à nous louer de tous les gens qui s’étaient occupés de nous et de nos affaires, nous donnâmes tête baissée dans la curiosité de cet homme au visage bonasse, auquel on aurait accordé le bon Dieu sans confession.

« Mal nous en advint plus tard.

« Arrivés à Sarrebourg, cet homme nous dit :

« — Mes chères enfants, vous avez bien du bonheur de m’avoir rencontré. Voici mon adresse à Paris. Venez me voir. Je serai à Paris, chez moi, dans trois semaines au plus tard. Je vous aiderai à éviter tous les dangers, tous les mauvais pas qui se trouvent à chaque coin de rue sous les petits pieds de deux jeunesses comme vous.

« Il nous donna son adresse, qu’il écrivit sur un morceau de papier graisseux contenu dans un volumineux portefeuille.

« — Vous irez rue de la Cité, numéro 22 ; vous demanderez M. Charbonneau, et vous verrez que vous n’aurez pas à vous en repentir. Je suis forcé de m’arrêter à Sarrebourg ; vous m’en voyez désolé.

« Il descendit.

« Nous le remerciions du mieux qu’il nous était possible ; alors, faisant semblant de revenir sur ses pas :

« — Que je suis étourdi ! s’écria-t-il. J’oublie que vous ne serez guère libres de votre temps, si, comme, vous en avez l’intention, vous entrez dans un