Constatons-le, en manière d’acquit :
Les gens formant la maison du comte de Warrens, Allemands ou Alsaciens pour la plupart, se seraient tous fait hacher pour leur maître, au rebours de ce qui se voit aujourd’hui.
La vieille domesticité se meurt !
La vieille domesticité est morte !
Le plus nouveau d’entre eux était déjà un vieux serviteur.
Malheur qui témoigne de la parcimonie de notre époque.
Chacun savait son service à une virgule près.
La maison se composait de M. Saturne, déjà nommé ;
De quatre huissiers ;
D’un majordome, le sieur Peters Patt ;
De six valets de pied ;
De quatre cochers ;
De huit palefreniers ;
De deux chefs de cuisine, l’un pour la table, l’autre pour la pâtisserie ;
D’un maître d’hôtel, Frantz Keller ;
De deux cuisiniers ayant six aides-marmitons.
D’une lingère faisant travailler quatre ouvrières ;
D’un valet de chambre attaché spécialement au service du major ;
D’un jardinier et de ses trois garçons.
En tout, quarante-cinq personnes.
Nous ne mettons pas au nombre des domestiques l’intendant, qui, par sa valeur et l’attachement inaltérable qu’il avait pour le comte de Warrens, était considéré par celui-ci comme son alter ego.
Excepté M. Saturne, le majordome Peters Patt et les quatre huissiers, tous les gens de l’hôtel portaient la livrée bleu et argent.
Le comte portait dans ses armes, d’azur trois accouples d’argent ; posées en pal les liens de gueule tournés en fasces, avec sa fière devise latine : Varia ense.
M. Saturne venait donc de pénétrer dans la chambre à coucher du comte de Warrens.
Après avoir déposé le plat contenant les lettres et les journaux sur une table avoisinant le lit de son maître, il se mit en devoir de tirer les rideaux et d’ouvrir les fenêtres de sa chambre.
— Est-ce toi, Saturne ? demanda le comte.
— Oui, maître.
— Il est midi ?
— Midi.
— Déjà ! Allons ! fit le comte en s’étirant et en souriant malgré lui, à l’idée qu’il venait à peine de dormir trois heures, allons ! je me fais vieux, je ne peux plus veiller, mon pauvre Saturne.
Le nègre ne répondait rien, mais il regardait avec attention les fortes chaussures que son maître avait mises le matin.
— Que regardes-tu là ?
— Bottes.
— Oui, j’ai fait un tour dans le parc avant de me coucher.