Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Dubuisson était scandalisé.

Le comte lui fit signe de baisser la voix ; le notaire poursuivit :

— D’après vos ordres, j’ai remis deux millions au major Schinner, votre intendant. Je tiens la quittance à votre disposition.

— Après ?

— J’ai payé huit cent quarante mille francs, sur bons signés par vous. Voici les noms des personnes qui…

— Je sais… je sais…

— Le reste de la somme…

— C’est-à-dire un million six cent quatre-vingt mille cent francs quatre-vingts…

— Centimes, acheva maître Dubuisson… Je l’ai sur moi…

— Bien. Est-ce tout ?

— Non, monsieur le comte.

— Qu’avez-vous encore à annoncer ?

— L’arrivée au Havre du Brave

— Venant de l’Inde ? interrogea M. de Warrens.

— Précisément… et l’arrivée du Cacique.

— D’où vient-il, celui-là ?

— Des mers du Sud. M. le comte est bien heureux de ne pas savoir où s’arrête sa fortune et d’où lui tombent ses galions.

— Je ne suis pas aussi heureux que vous le croyez, cher monsieur Dubuisson. Quand ces navires sont-ils entrés dans le port du Havre ?

— Le Brave, le 10 de ce mois ; le Cacique, le 14.

— C’est bien cela. L’avis que j’ai reçu de mon correspondant havrais est juste, fit distraitement le comte.

— Si M. le comte fait contrôler mes renseignements… interrompit le notaire, piqué au vif.

— Je vous prierai, mon maître, de remarquer que c’est vous qui me servez de contrôleur, répliqua M. de Warrens. J’ai la plus profonde confiance dans votre honneur et dans votre exactitude, vous le savez.

Maître Dubuisson remercia, et continua de sa voix officielle :

— Le premier de ces bâtiments apporte deux cent cinquante mille livres sterling.

— Six millions deux cent cinquante mille francs, écrivit le comte sur un petit bout de papier.

— Le second, juste le double.

— Ensemble dix-huit millions sept cent cinquante mille francs.

— Exact. Cet argent est déposé à la Banque de France, au nom de M. le comte de Warrens.

— M’avez-vous conservé l’appoint, comme d’habitude ?

— Oui.

Ce disant, maître Dubuisson ouvrit le large portefeuille que, depuis son arrivée, il avait gardé sous son bras.

Le silence qui suivit, pendant une demi-minute, fit changer de position au colonel Martial Renaud, mais ne le réveilla pas.