Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/370

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— Je n’y manquerai pas… quoique à vrai dire je commette là un gros mensonge, dit le notaire.

— Discrétion n’est pas mensonge, cher maître. En deux mots, je désire ne plus me trouver en relations d’affaires avec la maison Kirschmarck.

— La maison est solide, honorable, pourtant.

— Soit. Va pour la maison ; mais le chef, le baron, le Kirschmark, tout solide qu’il vous paraisse, le croyez-vous honorable ?

Ici la respiration du dormeur devint plus bruyante.

Le notaire prit congé de son riche client et se retira.

Resté seul avec son second visiteur, ce dernier s’approcha de lui, et lui frappant doucement sur l’épaule :

— Assez dormi, ma belle ! s’écria-t-il gaiement.

L’autre ouvrit les yeux et lui tendit la main.

— Bonjour, frère.

Ils s’embrassèrent.

— Faut-il que j’aie le sommeil rebelle ! dit en riant Martial Renaud, ni le Times, ni ton Barème de notaire ne sont parvenus à m’endormir.

La physionomie du comte de Warrens venait de changer subitement, en se trouvant en tête à tête avec l’homme qui l’appelait frère. Il semblait transfiguré.

Avant de répondre à sa plaisanterie, il le regarda sans lui quitter la main, et une expression d’inquiétude se peignit dans ses yeux.

— Tu as l’air fatigué ! fit-il.

— Est-ce que nous nous fatiguons, nous autres ? repartit Martial avec un geste d’insouciance. D’ailleurs, contentement passe travail. Je sais que tu as réussi.

— Qui te l’a dit ? le docteur ?

— Parbleu !

— Le docteur est un bavard, et je le gronderai.

— Commence par moi, alors. Martel n’a rien de caché, pas plus pour moi que pour vous, monsieur le comte.

— C’est bien, monsieur le colonel ! riposta ce dernier avec emphase ; puis changeant de ton : Tout est convenu. Notre homme se croit trop fin. Il est tombé dans ses propres filets.

— Il viendra ce soir ? demanda Martial avec anxiété.

— Sans faute : tu sais qu’aujourd’hui nous avons encore deux affaires ?

— L’affaire de Belleville.

— Et celle de la rue d’Angoulême-du-Temple.

— Eh bien ?

— À neuf heures, mon cher Martial, nous serons rue d’Angoulême.

— Que ferons-nous ?

— Je ne le sais pas encore. Nous agirons selon les événements.

— Tu ne compromets pas ton infaillibilité avec ces oracles-là, dit le colonel en raillant doucement son frère.

— Et toi, as-tu réussi de ton côté, beau railleur ?

— Oui… c’est même ce succès qui a causé mon retard la nuit dernière.