Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/380

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lesquelles l’homme le plus sûr de lui-même se sent défaillir et doit prendre la fuite, s’il ne veut se laisser vaincre ou tout au moins enchaîner.

De ses grands yeux, noirs comme la nuit, bordés de cils de velours et couronnés de sourcils tracés au pinceau par la nature, s’échappaient des regards magnétiques.

Ces regards, tantôt fulgurants comme des éclairs, tantôt languissants comme une caresse, un front bas comme celui de la Diane antique, mais plus pur et mieux modelé, des narines roses et frémissantes par moments, une bouche mignonne laissant entrevoir une double rangée de dents petites, acérées et nacrées, composaient l’ensemble le plus séducteur qui se puisse imaginer.

On sentait que cet ensemble, cette réunion de charmes à désespérer l’artiste qui se fût donné la tâche de les reproduire, pouvait, à plaisir, se faire caprice ou statue, attrayant comme le vice satiné, respectable comme la vertu qui se respecte elle-même.

La morbidesse de son teint, les boucles épaisses de sa chevelure noir-bleu, faisaient ressortir la transparence veloutée de ce visage divin qui distingue les créoles.

Qu’était cette jeune femme ?

Une de ces séduisantes sirènes auprès desquelles les hommes mettent bas toute prudence et toute pudeur, et se succèdent facilement les uns aux autres, cercle vicieux que la vieillesse seule rompt, ou l’une de ces reines de la mode, qui, tout en étendant leur sceptre sur la stupide humanité masculine, ne jettent leur mouchoir qu’à bon escient, et ne descendent qu’une fois de leur piédestal.

Toujours est-il que le comte et son frère attendaient immobiles et la tête découverte.

Elle se décida à les prier de se couvrir, et elle échangea avec eux plusieurs de ces phrases de politesse qui servent à peloter en attendant partie. Puis, s’adressant au comte de Warrens, elle lui dit :

— Avouez que le hasard est toujours mon meilleur ami, mon cher comte.

— J’avouerai tout ce qu’il vous plaira, répondit M. de Warrens, en contenant Fleur-de-Lis qui battait, la terre avec impatience.

— Vous êtes toujours l’un des plus beaux écuyers que je connaisse, ajouta-t-elle en souriant, et vous avez là une superbe bête.

— Les petits cadeaux… font naître l’amitié. Elle sera dans votre écurie ce soir même, madame.

— Allons ! allons ! fit la dame, qui ne parut pas étonnée de cette galanterie en dehors des usages parisiens. Le temps et l’absence passent sur vous sans vous changer. J’étais bien sûre que vous demander cette jument, c’était l’avoir…

Ce fut le seul remerciement qu’elle lui adressa.

— Y a-t-il longtemps que vous êtes à Paris ? demanda-t-elle.

— Trois mois à peine, madame la comtesse.

Nos lecteurs le voient, la jeune femme en question n’était pas la première aventurière venue.