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Tout en haut de cet escalier, sur la rive gauche du lac, se trouvait une réunion de rochers composant une forte voussure.

Au sommet de cette masse imposante, on avait établi un immense réservoir d’eau.

Les portes, placées sous les principaux massifs de rochers, conduisaient à une seconde grotte souterraine, connue seulement de la maîtresse de céans.

Elle seule avait la clef de ces méandres rustiques.

Parfois ses gens, amenés par elle à Paris, de l’île de Cuba, se demandaient où était passée leur maîtresse.

On la cherchait en vain dans ses appartements.

On la cherchait dans les jardins, dans le souterrain, dans le petit bois.

Nul n’arrivait à la rencontrer.

Puis, au moment où la femme de chambre et les valets de pied s’y attendaient le moins, la sonnette de la comtesse retentissait.

Ils accouraient.

Mais aucun d’eux n’avait l’audace d’adresser une question à une maîtresse qui les traitait en France exactement comme on les traite aux colonies.

Et cependant ils lui étaient tous dévoués.

Le nid analysé, revenons à l’oiseau.

Après s’être débarrassée de ses fourrures et les avoir jetées à deux négresses qui l’attendaient dans l’antichambre, Hermosa de Casa-Real, suivie de M. de Warrens, entra dans le couloir qui précédait sa salle de concert, la traversa et introduisit son hôte dans son salon.

Quelque accoutumé que fût ce dernier aux splendeurs d’outre-mer et aux élégances parisiennes, il ne put s’empêcher de jeter un regard de connaisseur satisfait sur ces raffinements de luxe bien entendu.

La comtesse, qui ne le quittait pas des yeux, l’invita à s’asseoir, et le prêcha d’exemple, en se jetant ou plutôt en se laissant tomber dans une de ces chaises des îles qui tiennent le milieu entre une balançoire et un fauteuil à la Voltaire.

En vérité, cette femme était charmante.

Chacun de ses gestes devenait une séduction.

M. de Warrens se serait vu obligé d’en convenir à brûle-pourpoint s’il n’avait préféré faire semblant d’admirer les objets d’art qui encombraient la cheminée, les tables et les guéridons.

Il attendit qu’un des laquais de la comtesse eût attisé le feu et fût sorti.

Alors il se décida à rompre un silence qui n’était embarrassant pour aucun des deux acteurs de cette scène, mais qui, à la longue, eût pu devenir trop significatif.

— Vous avez entassé merveilles sur merveilles dans ce petit coin de Paris, comtesse, dit-il ; vous me voyez dans une véritable admiration.

— Merci pour mon pied-à-terre, répondit la jeune femme, balançant avec nonchalance l’extrémité d’un pied qui aurait fait rougir la sandale de Rhodope ou dérouté la pantoufle de Mlle Cendrillon, je suis ravie que vous le trouviez de bon goût.

— L’écrin vaut la perle.