Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/389

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M. de Warrens répliqua :

— Je la crois inutile.

— Je ne suis pas de votre avis, cher comte.

— Comtesse, à vos ordres. Seulement, je vous prierai de le remarquer, bien que vous ne me le demandiez pas, une explication dans laquelle vous ferez toute seule la pluie et le beau temps ne sera jamais une explication.

La jeune femme eut un mouvement d’impatience, qui prouvait à quel point elle était peu maîtresse d’elle-même, et déchirant à belles mains un mouchoir de valenciennes qui aurait payé le pain annuel d’un pauvre diable, elle en lança les débris dans la cheminée.

— Vous êtes insupportable, fit-elle.

— Comme autrefois, comtesse.

— Autrefois, quand il vous plaisait de me… taquiner, vous ne m’appeliez pas comtesse…

— Madame… laissez-moi croire que j’ai oublié votre autre nom.

— Vous avez raison, monsieur, et ce n’est pas pour raviver des cendres mortes depuis longtemps que je vous ai prié de me suivre.

« Vous n’osez dire tant mieux, mais vous le pensez, je le vois, j’en suis sûre, ajouta-t-elle avec coquetterie.

— Hermosa ! répondit le comte.

Ce nom s’échappa de ses lèvres sans qu’il eût eu l’intention de le prononcer.

La créole retint une exclamation de triomphe.

Un éclair de joie illumina son visage. Elle le comprit ; le passé n’était pas éteint au fond du cœur du comte de Warrens. Tout lien n’était pas rompu entre eux.

Mais elle avait affaire à un rude jouteur.

La faute commise, le comte se promit que ce serait la seule de cette journée.

Il attendit.

Mme de Casa-Real lui tendit la main.

Il ne fit pas semblant de la voir.

— Noël… lui dit-elle de sa plus douce voix, Noël, vous ne les avez donc pas oubliées, ces heures fortunées, ces souvenirs joyeux de nos jeunes années ?

— Parlez pour moi, madame, répondit le comte. J’ai eu de jeunes, années, mais vous, votre jeunesse continue. On ne vous donnerait pas vingt ans.

— Mon pauvre comte, — et elle secouait sa tête mutine qui devenait sentimentale à volonté, — mon pauvre comte, vous allez me parler de la couleur de mes cheveux et de la finesse de ma taille, quand moi je ne pense qu’à mon cœur et aux sentiments qui s’y sont conservés comme dans une arche sacrée. Nous ne vivons que par le cœur, nous autres femmes…

— De Paris ? dit-il sérieusement.

— Non, femmes de là-bas.

— Et par le cœur, quel âge avez-vous, comtesse ?

— Je n’ai plus d’âge, répondit-elle d’une voix nette et tranchante.

— Permettez-moi de vous assurer que vous vous trompez.

— Non.