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La comtesse de Casa-Real en était là de ses réflexions et de ses projets de vengeance, lorsqu’un bruit léger la fit se retourner vivement.

Un homme se tenait derrière elle.

Dans une attitude respectueuse, debout, la dévorant du regard tant qu’elle ne pouvait s’apercevoir de son audace, il baissa la tête et s’inclina devant elle aussitôt qu’il la vit se retourner de son côté.

C’était un métis dans la force de l’âge.

Ses épaules carrées, son cou de taureau, la souplesse de ses mouvements prouvaient que, malgré sa petite taille, peu d’hommes seraient venus à bout de lui dans une lutte corps à corps.

Marcos Praya était son nom.

Surprise par sa présence, la comtesse l’examina un moment en silence, puis, avec un mouvement de colère qu’elle ne se donna point la peine de dissimuler, elle lui dit :

— Qui vous a appelé ?

Marcos ne répondit pas.

Dans la maison de la créole, chacun savait la façon de se tenir en face de ses colères et de ses impatiences.

Le métis connaissait sa maîtresse mieux que personne.

Il attendit.

La comtesse de Casa-Real, sans se laisser toucher par l’humble contenance de son serviteur, continua du même ton sec et dur :

— Est-ce ainsi que vous donnez l’exemple du respect, Marcos Praya ? Depuis quand se permet-on d’entrer chez moi sans que cette sonnette ait parlé pour moi ? Si cela vous arrive une seconde fois, je le jure, par la mémoire de ma mère, vous ne resterez pas une minute de plus en Europe ! Je vous chasserai comme un chien !… je vous renverrai là-bas !… De la sorte, vous ne m’imposerez le supplice de votre sotte présence qu’à mes heures.

Quand Hermosa jurait par la mémoire de sa mère, nul ne se permettait de lui tenir tête.

Marcos Praya eût bien pu répondre qu’elle le traitait en esclave, qu’une fois le pied sur la terre de France, un nègre, un mulâtre, un métis, un esclave enfin, devenait libre comme le dernier des blancs ; mais il ne sortit pas de son immobilité.

La liberté n’était pour lui qu’un mot vague, vide de sens.

Sa liberté à lui, plus qu’à tous les serviteurs de Mme de Casa-Real, qui, pourtant, vivaient tous sous le charme de cette Circé, sa liberté consistait à vivre de la vie de sa maîtresse, à respirer l’air qu’elle respirait, à suivre la trace de ses pas comme une ombre timide, à deviner ses désirs, enfin à exécuter ses volontés, coûte que coûte.

Elle venait de le menacer, de le chasser comme un chien ; c’était bien comme un chien qu’il l’aimait et qu’il se serait fait tuer pour elle.

On ne trouve de ces dévouements exagérés, enthousiastes, idolâtres, que dans les climats où le soleil brûle la peau moins que la passion ne brûle le cœur.

Hermosa savait tout l’empire exercé par sa beauté sur l’homme qui se tenait courbé devant elle.