Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/398

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Aussi, dans ses heures d’impatience ou de nervosité, en usait-elle pleinement.

Elle se considérait comme très généreuse, lorsqu’elle n’en abusait pas.

Ce jour-là, malheureusement pour le misérable métis, elle ne se trouvait pas en veine de bons sentiments.

Voyant qu’il ne faisait aucune observation, qu’il se contentait de se courber, de se ramasser, ainsi que fait l’Arabe du désert surpris par les tourbillons du simoun africain, elle ne le jugea pas un aliment suffisant à sa colère du moment.

Faisant un geste de souverain mépris.

— Laissez-moi ! lui dit-elle.

Marcos ne bougea pas, mais lui adressa un regard plein de supplications.

Ce regard signifiait :

— Maîtresse, écoutez-moi.

La créole le comprit ; cependant lui montrant la porte, elle lui répéta avec plus de violence :

— Sortez !

Le métis se dirigea tristement vers le seuil.

Au moment où il allait disparaître, le vent changea, et la capricieuse créature, sans se donner la peine de lui donner la moindre raison de sa conduite, le rappela :

— Marcos !

— Señora ? répondit-il d’une voix creuse, presque indistincte, qui témoignait de toutes les impressions par lesquelles il venait de passer.

— Restez !

Il s’arrêta.

— Venez… approchez.

Obéissant comme si rien n’eût dû lui faire trouver l’obéissance trop cruelle, il s’approcha de sa maîtresse, sans impatience, sans récriminations.

Elle ne daigna ni le remercier ni lui adresser un mot de regret pour excuser le despotisme de ses manières.

Jouant toujours avec le poignard indien qu’elle avait pris sur une de ses tables, elle lui demanda :

— Que vouliez-vous ?

— Pour moi, rien, répondit Marcos Praya.

— Je ne m’occupe pas de vous, et je ne suppose pas que, sans un motif puissant, vous soyez venu ici. La raison de votre présence, quelle est-elle ? Voyons… parlez vite !

Marcos retint un sourire de triomphe.

Il eût pu, cette fois, en ne faisant pas de réponse, ou en faisant une réponse évasive, avoir son tour et prendre sa revanche.

La créole brûlait maintenant de savoir ce que peu d’instants auparavant elle n’eût voulu écouter à aucun prix.

Elle frappa du pied avec impatience.

Il se décida à lui dire :

— Je l’ai vu partir.