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Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/402

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— J’aurais peut-être eu raison de le renvoyer à Cuba… Mes secrets, il les a tous devinés. Si un jour sa passion, fatiguée d’une contrainte aussi dure, se laissait remplacer par la haine ? Il a du sang noir dans les veines, du sang d’esclave… Je devrais me méfier de Marcos Praya. Oui, à l’avenir, je suffirai à mes projets, à l’exécution de ma vengeance !

Elle revint à sa chaise longue et s’assit.

— Oui, reprit-elle, celui-là, comme tant d’autres, donnerait tout, corps et âme, pour un de mes sourires…

Et elle souriait, la coquette !

— Mais lui ! cet orgueilleux Noël ! cet ingrat ! il fait litière de nos souvenirs. Ma beauté que les autres admirent ne peut plus rien sur lui ! M’a-t-il assez outragée, insultée, dédaignée, tout à l’heure ?

Elle frappa avec rage sur le dossier du meuble qui se trouvait à sa portée, et son visage passa de l’expression du triomphe à celle de l’orgueil blessé.

Peu à peu, cependant, ses traits se rassérénèrent, et faisant un geste de menace.

— À ce soir ! murmura-t-elle.

Et elle sonna fiévreusement à trois reprises.

Trois femmes de chambre entrèrent, deux mulâtresses et une quarteronne.

Un seul coup de sonnette appelait la quarteronne.

Deux, la première mulâtresse.

Trois, la seconde.

Quand la comtesse les vit paraître toutes les trois, elle oublia que dans sa fièvre elle avait sonné trois fois, apostrophant vivement les deux dernières :

— Pourquoi, vous autres ? leur cria-t-elle. Anita seule.

Deux des femmes de chambre se retirèrent sans témoigner le moindre étonnement des caprices de leur maîtresse.

Il ne resta dans le salon que la jeune quarteronne.

Anita avait dix-huit ans, la taille mince et pliante comme un roseau, les traits réguliers et l’œil intelligent.

C’était un charmant aperçu de la race hispano-américaine.

Ses compagnes sorties, et la porte refermée sur elles, la jeune fille fit quelques pas vers Mme de Casa-Real, et s’inclinant devant elle avec cette grâce nonchalante qui caractérise les femmes d’outre-mer.

— Me voici à vos ordres, dit-elle d’une voix mélodieuse comme un chant d’oiseau.

Doña Hermosa tourna tranquillement la tête vers elle et lui fît un signe.

Anita, sans demander d’autre explication, avança un tabouret aux pieds de sa maîtresse, s’assit et fixa ses grands yeux noirs pleins de lumière sur ceux de cette dernière.

Chacun de ses mouvements avait quelque chose de félin.

Il y avait plaisir à la regarder.

Sans y songer, la créole contemplait la quarteronne et se complaisait dans sa contemplation.

Tête-à-tête avec cette brune enfant, elle pouvait égarer sa pensée dans les espaces déjà parcourus et se croire encore à la Havane, dans ces solitudes