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Mme la comtesse de Casa-Real, née à Paris, rue de Rivoli, et secouant aussi familièrement la tête de sa femme de chambre, serait mise au ban de la gentry parisienne.

Mais doña Hermosa de Casa-Real, née à Cuba, dans un palais de la Havane, plaza del Gobernador, arrachant des cheveux à une quarteronne et l’embrassant quelques minutes après, ne sort pas de sa chaude couleur et ne fait point tache dans le cadre de ses habitudes et de sa vie première.

Sous la caresse de sa maîtresse, Anita renfonça bien vite les larmes qui avaient l’intention de couler le long de ses joues, et baisant avec reconnaissance les mains de la comtesse, elle lui répondit :

— Marcos Praya est le frère de lait de madame la comtesse… Un frère aime sa sœur ! il donnerait sans regret sa vie sur un signe d’elle.

— Je sais cela.

— Eh bien ! maîtresse, pourquoi vous défier de lui ?

— Tu ne comprends pas, enfant ! répondit la jeune femme avec un léger mouvement d’épaule. Marcos a le dévouement de la brute. Il me fatigue de son espionnage constant… Il me blesse de ses précautions exagérées. Moins de zèle me plairait davantage.

— Il faut l’excuser. On ne trouve pas toujours des serviteurs dévoués, courageux et redoutables, comme Marcos Praya.

— Soit, je l’excuse. Mais je veux qu’il soit bien convaincu de ceci, et au besoin, Anita, je t’autorise à lui répéter mes paroles : le poignard n’est point une arme admise dans le pays où nous nous trouvons.

— C’est dommage ! repartit la quarteronne en souriant. Marcos en joue si joliment !

— Nous sommes à Paris, chica, continua doña Hermosa. Ce n’est pas la force, la violence, qui nous donneront gain de cause, mais bien plutôt la douceur, la ruse, l’hypocrisie.

Anita courba sa tête charmante en guise d’assentiment.

— Tu m’as bien comprise ?

— Oui, maîtresse.

— Maintenant, dis-moi : tout est-il prêt pour ce soir ?

— Tout.

— Bien.

Ici, un nouveau silence se fit.

Sans nul doute, cette conversation à bâtons rompus était un masque que Mme de Casa-Real appliquait sur sa pensée.

Elle n’osait attaquer avec franchise le sujet qu’elle brûlait de traiter.

Son désir lui montait en vain du cœur aux lèvres.

Les mots expiraient, venaient se briser entre les perles qui lui servaient de dents, serrées les unes contre les autres par la passion, par un reste de violente colère.

Anita, élevée auprès de sa maîtresse, confidente muette de tous ses secrets, sachant à fond son caractère implacable, hautain et résolu, loin de l’exciter à parler, conservait une réserve prudente.

Elle le tenait pour certain : avant peu, comme un torrent fougueux qui, trop