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Un pantalon, un gilet, un petit paletot sac et un large pardessus en drap noir y étaient posés.

Une paire de bottes fines, en cuir verni, attendait sur une blanche peau de cygne servant de descente de lit.

Sur un guéridon, un chapeau de feutre sombre à grands rebords. Somme toute, un costume d’homme.

Et ces vêtements masculins, la comtesse de Casa-Real se préparait à les endosser

À l’entrée de sa camériste, elle se coiffait d’une perruque blonde, aux mèches variant entre cinq et dix centimètres de longueur, ayant une raie sur le côté gauche.

Cette perruque, puisqu’il faut l’appeler par son nom, encadrait si adroitement son gracieux visage, que nul n’eût pu se douter qu’elle cachait les trésors d’une opulente chevelure, d’un noir d’ébène, descendant jusqu’aux chevilles.

Or, quoiqu’elle eût de nombreuses filles de chambre, la créole n’avait jamais souffert qu’aucune d’entre elles portât la main sur sa tête.

Elle seule se coiffait.

Et cela avec tant d’habileté, que quand elle entrait dans un bal ou dans une soirée de cérémonie, toutes les femmes jetaient un œil d’envie sur la simplicité de sa coiffure et sur la richesse de ses cheveux.

On n’avait pas encore pris, à cette époque-là, le parti d’étouffer la nature et la vérité sous les édifices de l’art du mensonge.

On ne portait pas ces chignons ridicules qui font ressembler la tête de nos élégantes à une gourde de campagne montée grossièrement.

Nos mères avaient des cheveux, des vrais, et n’en portaient de faux qu’à la dernière extrémité.

Nos filles coupent les leurs, les vrais, pour en porter de faux sortant de n’importe où !

Et tout cela pour en revenir un jour aux bandeaux les plus simples, et aux chignons les moins voyants.

Messieurs les coiffeurs auront beau faire, le monde tournera toujours dans un cercle plus ou moins… vertueux.

S’ils donnent le ton aux mères de famille, s’ils forcent la main aux pères de famille, ces malheureux et faibles grands-parents, qui subissent, aujourd’hui leur joug de mauvais goût, se révolteront à un moment donné.

À ce moment-là, comme l’a dit un de nos auteurs dramatiques les mieux accrédités, le règne de Sainte-Mousseline reviendra pour les couturières, et la vraie natte détrônera le faux chignon.

La comtesse achevait donc de se coller sur les tempes les dernières mèches rebelles de sa perruque.

Entendant le pas d’Anita, elle se retourna.

— Tu l’as reconduit jusqu’à la rue ? demanda-t-elle.

— Oui, maîtresse.

— Il est parti ? Il s’est éloigné ? Personne ne l’a vu ?

— Je le crois. J’ai pris par les corridors secrets.