— Et Marcos Praya ?
— Nous ne l’avons pas rencontré.
— Tu en es bien sûre ?
— Oui, maîtresse.
— Il est fin ! murmura la créole en hochant la tête d’un air de doute.
— Sa finesse ne va pas jusqu’à traverser les murailles de son regard, répondit la quarteronne en souriant avec assurance.
— Je le renverrai en Amérique, celui-là.
— Il en mourra, maîtresse.
— Eh ! que m’importe, après tout ? Sa présence me gêne ! fit l’irascible créature avec un geste d’impatience.
— Marcos vous aime autant qu’il aime son Dieu ! répliqua gravement Anita en se signant.
C’est une chose à remarquer, toute créole est religieuse ; et sa religion, plus naïve que celle d’une Européenne, étant plus récente, réside surtout dans les signes extérieurs.
Mme de Casa-Real n’était créole qu’à demi, à ce point de vue-là.
Sa passion, amour ou ambition, étouffait les souvenirs divins de son enfance et de sa jeunesse.
— Il m’aime !… il m’aime !… dis-tu ? reprit-elle avec violence ; soit. Mais il m’aime trop ! Son affection me fatigue, son dévouement m’obsède ! Si j’écoutais ses conseils…
— Il ose à peine vous en donner un… en tremblant.
— Si je l’écoutais, je finirais par ne plus m’appartenir ! Marcos, sous prétexte d’adoration et de respect, ferait de moi sa chose ! Cela ne sera pas, mignonne ! ajouta-t-elle sur un mode plus léger.
— Vous êtes sévère pour le plus fidèle de vos serviteurs
— Et toi, tu es indulgente pour ses défauts, Anita.
La quarteronne rougit et détourna son visage pour ne pas laisser voir à sa maîtresse la rougeur qui l’envahissait.
— Aide-moi à m’habiller, chica, fit cette dernière.
— Avec ces habits-là, maîtresse ?
— En homme, oui.
Anita obéit.
Elle aida Mme de Casa-Real à revêtir son costume masculin.
Tout en lui servant de valet de chambre, la quarteronne ne put s’empêcher de lui communiquer ses appréhensions :
— Vous allez encore sortir ainsi vêtue, señora ?
— Crois-tu que je m’habille de la sorte pour rester chez moi ? lui répondit en riant la comtesse.
— Et vous sortez seule ?
Dans un instant.
— Ne faites pas cela, maîtresse.
— Tu as peur ?
— Pour vous, oui.
— Je ne t’emmènerai pas. Ne crains rien.