Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/455

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Claire profita de l’immobilité de sa mère et de son père pour courir à ce dernier et se jeter à son cou.

Celui-ci saisit la petite et l’embrassa à plusieurs reprises.

— Embrasse-moi, papa, lui disait l’enfant au milieu de cette avalanche de caresses paternelles, embrasse-moi, mais ne pleure pas après comme tu pleurais hier !

Le père s’arrêta, il regarda sa femme, et comprenant que sa fille avait déjà parlé.

— Louise, fit-il, sonne. Qu’on emmène l’enfant, il faut que je te parle. J’ai déjà trop tardé peut-être.

Mme Bergeret sonna.

Vint une femme de chambre qui emmena la petite Claire.

Restés seuls, les deux époux se contemplèrent un instant silencieusement.

Puis la femme alla à l’homme, lui prit la main et lui dit :

— Comme tu es pâle ! Qu’y a-t-il ?

Le mari saisit la tête de sa femme entre ses deux mains et lui baisant le front, il repartit :

— Louise, tu es une femme courageuse ?

— Tu le sais, dit-elle avec fermeté.

— Prépare toutes tes forces pour supporter sans fléchir le malheur qui nous frappe.

— Je serai forte, parle.

M. Bergeret était un homme de quarante ans, solidement trempé ; l’honneur avait gravé sur ses traits loyaux son empreinte bien reconnaissable ; physiquement, il ressemblait à un chêne destiné à vivre de longues années ; moralement, c’était une conscience vivante.

Il hésita, puis, faisant un effort surhumain, il se décida à prononcer, d’une voix faible comme le souffle d’un enfant qui dort :

— Louise ! ma Louise ! nous sommes ruinés !

— Ruinés ! répéta Mme Bergeret. Ah ! ma pauvre petite Claire !

Le premier cri de l’héroïque créature avait été pour sa fille.

Le second fut pour son mari, que cette douleur écrasait et qui venait de tomber anéanti sur un siège.

— Eh bien ! mon ami, nous nous remettrons à l’ouvrage, voilà tout.

Bergeret releva vers elle sa tête désolée ; un éclair de joie l’illumina :

— Merci ! dit-il d’une voix pleine de larmes, merci ! Oh ! si quelque chose au monde pouvait me rendre le courage, ces paroles me le rendraient. Mais il est trop tard.

— Qui sait ? Raconte-moi tout, mon ami. Je trouverai peut-être un moyen de salut.

— C’est impossible, chère femme ! je les ai tous épuisés. Crois-tu donc que je vienne au premier revers te jeter le désespoir et le découragement dans l’âme ? Non, va ! j’ai lutté vaillamment et bien longtemps. L’homme jeté à la mer par un coup de vent commence par nager avec vigueur. L’espoir est là qui le soutient. On peut le secourir, lui jeter une corde, une bouée ! Un bâtiment peut passer ! que sais-je ? une terre sortir de l’onde ! Enfin, tous ces