Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voici donc ce que vous m’offrez : dix-neuf cents francs par an, jusqu’à extinction de la dette.

— Monsieur !

_ Très joli ! Vous faites une lettre de change à six mois et vous demandez cinquante-deux ans, sept mois et cinq jours pour rembourser. Je ne veux pas des intérêts, qui, au taux de ma maison, pendant ces cinquante-deux ans sept mois et cinq jours, ne laisseraient pas de grossir le, capital. Vous n’êtes pas dégoûté, vous !

— Vous raillez ! fit le malheureux Bergeret les dents serrées, l’œil menaçant.

— Moi ? pas du tout ; c’est vous qui vous… riez de moi.

— J’ai cru devoir vous offrir le dernier moyen qui me restât de m’acquitter envers vous. D’ailleurs les marchandises que j’ai en magasin, si je puis attendre, reprendront de la valeur, et l’an prochain, qui sait ? je vous rembourserai d’un seul coup.

L’usurier remit son chapeau.

Il regarda son débiteur bien en face et dit, en lui riant au nez :

— Décidément vous êtes un farceur ! Vos marchandises !… mais demain vos marchandises seront vendues à la criée ! demain je les aurai rachetées au rabais ; elles ne seront plus dans vos magasins, mais dans ma cave ; elles attendront chez moi, et si elles remontent, ce qui est certain, elles remonteront pour moi.

— Ainsi, monsieur, fit M. Bergeret frémissant, vous êtes décidé à tout faire vendre demain ? Ainsi, vous me ruinez de gaieté de cœur.

— Oh ! mon bon ami, ne faisons pas de sentiment ! Parlons clair. Lorsque vous êtes venu à moi, car c’est vous qui êtes venu à moi, et non moi qui suis allé vous chercher, je me suis tenu ce raisonnement : Je prête cinquante mille francs, mais dans six mois je recevrai le double de la somme ou j’entrerai en possession de marchandises qui me garantiront mes déboursés. Vous ne vous trouvez pas en mesure, je fais vendre. Maintenant, que vous importe que ce soit monsieur Pierre, monsieur Paul ou moi qui rachète. Un peu de raison, que diantre ! les affaires sont les affaires !

L’excès du cynisme de son créancier fit tomber la colère du débiteur.

Il lui dit simplement :

— Monsieur, le ton dont vous me parlez me fait mal, et je vous prie d’en changer.

— Comme il vous plaira.

— Une dernière fois, et il articula lentement chacun des mots qui suivirent, si vous ne voulez pas devenir un assassin, ! acceptez ce que je vous propose !

— Jamais ! s’écria Kirschmark avec véhémence. Vous vous moqueriez de moi. Ah çà ! pour qui me prenez-vous ?

— Je vous prends pour un…, répondit M. Bergeret en faisant un geste terrible qui s’arrêta à moitié chemin…

— Hé ! là-bas ! faites attention, vous levez la main sur moi… hurla l’usurier, qui opéra prudemment sa retraite. Vous me payerez cela par-dessus le marché.

— Mais, j’ai tort !… continua le père de Claire… Vous êtes dans votre droit ; seulement, retenez bien ceci : Je vous le jure par Dieu, qui nous voit