Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/464

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Il la laissa parler, pleurer, prier !

Il la regardait et la trouvait belle.

Plus belle que sa maîtresse ordinaire, plus belle que les courtisanes de hasard après lesquelles il courait dès que ses affaires lui laissaient quelque répit.

Il le lui dit.

La pauvre femme le laissa dire.

Elle n’attendait qu’une réponse, et tout ce qui n’était pas cette réponse ne lui semblait pas avoir de signification.

Elle redoubla ses supplications.

— Vous demandez un oui. Soit, j’accorderai un délai, je donnerai du temps, tout le temps qu’il vous plaira…

Et comme elle se penchait, haletante de joie, pour lui saisir les deux mains et les couvrir de baisers, le monstre ajouta :

— Mais c’est un oui aussi que je vous demande.

Mme Bergeret ne comprenait pas.

Il se fit comprendre.

Oh ! ce ne fut pas long.

La femme suppliante disparut.

La mère se redressa de toute sa hauteur.

Et, fortes de leur sainte dignité, de leur infortune imméritée, la femme et la mère, représentées toutes deux par cette vertueuse créature, crachèrent son infamie à la face du hideux, bandit qui vendait l’honneur commercial de l’époux au prix de l’honneur conjugal et maternel de l’épouse.

Kirschmark se retira au comble de la rage.

Ainsi la démarche tentée par Mme Bergeret tournait au détriment de l’homme pour qui elle eût sacrifié sa vie, mais sa vie seulement !

Le créancier parti, elle avait couru chez elle, ouvert des tiroirs, pris quelques écrins, et elle avait écouté de nouveau ce qui se passait dans le salon.

Son mari écrivait.

Elle attendit, puis elle frappa.

Quand M. Bergeret vint lui ouvrir, elle se précipita dans ses bras.

Et tous deux se mirent à sangloter.

Mais ce n’était pas le moment de se livrer à un stérile désespoir.

Louise fut la première qui revint au sentiment de leur cruelle situation.

Elle eut le sang-froid de feindre l’ignorance la plus complète au sujet de tous les détails de sa conversation avec le banquier.

— Eh bien, mon ami ? lui demanda-t-elle.

— Du courage ! répondit M. Bergeret.

— Tes prières ?…

— Sont tombées sur un banc de pierre.

— Oui, oui, mais je veux tout savoir, dis-moi jusqu’où va notre malheur ? Qu’as-tu obtenu ?

— Rien.

— Quoi ! pas un délai ?

— Il m’a donné une heure.