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rayonnant de vie et de bonheur la veille encore, sentait aujourd’hui la misère et la mort.

La petite Claire les considérait tout effarée.

— Le sieur Charles Bergeret est-il ici, mon enfant ? demanda l’agent en chef, en adoucissant de son mieux sa voix rogommeuse.

— Papa ! Vous voulez voir papa ? — Il est là, avec maman.

Et elle montrait la chambre mortuaire.

Il y eut une seconde d’hésitation chez ces hommes, qui pourtant n’ont guère l’âme bien tendre.

Ils avaient d’abord cru à une comédie, à une farce de débiteur aux abois.

La farce dégénérait en drame sanglant.

L’agent en chef entra dans la chambre de M. Bergeret.

Les autres agents suivirent.

Au spectacle qui frappa leurs yeux, ils se découvrirent tous.

Le père, l’homme, le commerçant, le mari, était étendu tout de son long, mort d’un coup de pistolet en plein cœur.

Le femme, la mère, gisait sans connaissance, le visage baigné dans le sang qui coulait de la blessure de son mari.

Profitant du silence de tous ces hommes qui avaient le verbe si haut peu d’instants auparavant, Claire s’était glissée jusqu’à sa mère, et l’appelant de toutes ses forces :

— Maman ! maman ! réveille-toi ! criait-elle.

Et elle s’agenouillait à ses côtés, et elle lui baisait les mains.

Le commissaire de police constata la mort de M. Bergeret.

Puis, grâce aux soins donnés à sa femme, on parvint à lui faire reprendre connaissance.

Mais son premier regard que, dans un reste d’égarement, elle dirigea vers cette porte terrible, tomba sur la tête inquiète et curieuse de Kirschmark.

L’infâme usurier, le libertin rancunier, avait calculé le temps qu’il fallait à ses agents pour exécuter ses ordres, et il venait savourer le plaisir de sa basse vengeance ; il venait faire prendre à son amour-propre blessé un bain de larmes et de sanglots.

Ce fut un bain de sang qu’il trouva préparé.

Et comme stupéfait par ce spectacle inattendu, incroyable, il demeurait cloué sur le seuil de cette demeure, faite veuve et orpheline par lui, un cri d’horreur vint lui déchirer les entrailles.

C’était la femme de sa victime qui venait de le pousser.

Il voulut s’en aller.

Les jambes lui manquèrent.

Puis, une force magnétique le retenait là, haletant, éperdu, voulant voir jusqu’au bout.

Il vit Mme Bergeret se lever sans secours, prendre son enfant par la main, la traîner jusqu’à lui, étendre le bras vers lui, et s’écrier :

— Claire, mon enfant, tu vois cet homme…

L’enfant répondit :

— Oui.