Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/477

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— Dame ! monsieur Jules, on n’habite pas un palais, mais on paye son terme exactement.

— Quelle chance pour le propriétaire ! grommela ce dernier, qui, tout en ayant visité les réduits les plus infimes et les plus infâmes de Paris et de la banlieue, n’avait jamais rencontré une décrépitude, un délabrement aussi complets.

Filoche tira une ficelle qui servait de loquet.

La porte de gauche s’ouvrit.

— Passez, monsieur Jules.

Ils pénétrèrent dans une mansarde sale, dégoûtante, dégarnie de meubles, où les quatre vents cardinaux venaient se donner rendez-vous dans leurs moments perdus.

Au milieu de ce grenier, sur une paillasse posée à terre, un homme se trouvait étendu avec tous les égard dus à sa situation précaire.

Cet homme, pâle comme un cadavre, dormait d’un sommeil profond.

L’ex-agent le reconnut du premier coup d’œil.

C’était le comte de Mauclerc.

Lui, le lion, lui, le dandy, lui, la fleur des pois des viveurs de son temps, vautré sur un immonde grabat, sauvé et soigné par les derniers de ces misérables sur lesquels il daignait à peine laisser tomber un regard du haut de son tilbury ou de son pur-sang !

Allons ! allons ! la Providence fait bien les choses, quand il lui plaît de s’en donner la peine.

C’étaient là les réflexions qui trottaient à travers la tête de notre visiteur, qui, tout en réfléchissant aux vicissitudes de ce monde sublunaire, n’en continuait, pas moins l’inspection du réduit dans lequel il venait de s’introduire.

Une femme en haillons, aux cheveux jaunes et ébouriffés, aux angles atrophiés par la misère et la débauche, se tenait assise auprès du blessé.

Souvenir vivant des Tricoteuses de la Terreur, elle achevait un bas de laine, tout en surveillant un mauvais poêlon qui chantait faux sur un réchaud en terre.

Une lampe fumeuse éclairait tant bien que mal ce taudis fantastique.

Au bruit fait par les arrivants, la femme se retourna vivement.

Elle aperçut M. Jules.

Un éclair de joie vint illuminer son visage flétri, et elle se leva avec empressement.

L’ex-agent lui fit signe de se replacer sur l’escabeau qui lui servait de siège.

— Ne bougez pas, dit-il à voix basse ; ne réveillez pas le blessé.

— Vous ne voulez donc pas lui parler ? demanda Filoche.

— Plus tard. En ce moment, son réveil ne me serait d’aucune utilité. Je l’ai vu. Je me suis assuré que c’était bien lui. Cela me suffit.

Et comme la femme insistait du geste pour réveiller le comte de Mauclerc.

— Non, reprit-il avec énergie, la moindre émotion lui serait funeste. Vous me le tueriez, et je veux qu’il vive.