— Imbécile ! fit M. Jules en haussant les épaules, et tantôt tu prétendais que nul ne savait…
— Mais…
— Silence ! Ces camarades, où sont-ils ?
— Voilà justement ce que j’allais vous dégoiser. Ils étaient chargés de la conduite du train jusqu’à Triel, où ils doivent le dépecer.
— Sont-ils repartis ?
— À l’instant même, sans même boire une goutte, dans la crainte de se mettre en retard.
— Bon. Ils se tairont…
— Quinze jours au moins.
— C’est plus qu’il ne m’en faut. Qui a pansé le blessé ?
— Moi ! dit Fifine en s’avançant.
— Avec quoi ?
— Des compresses et de l’eau fraîche.
— C’est ce qu’il y a de plus simple, repartit l’ex-agent en souriant.
— Ça ne peut pas faire de mal et ça me connaît. J’en ai tant soigné des atouts dans la taverne Saint-Marcel !
Fifine, toute jeune fille, avait servi dans un cabaret où, jour et nuit, charretiers, égoutiers, routeurs de jour et rôdeur de nuit ne mangeaient pas un arlequin sans tirer la savate au dessert.
Elle était experte en toutes blessures provenant d’un poing fermé ou d’un couteau ouvert.
— Jusqu’à nouvel ordre, lui enjoignit l’ex-agent de police, pas un mot de ce qui s’est passé, à âme qui vive.
— Bon. Mais demain, faut que j’aille au travail… et mon homme aussi.
— Vous n’irez pas, et vous veillerez à ce que personne ne pénètre chez vous.
— Et de l’os ?
M. Jules jeta un billet de banque à Filoche :
— Voilà deux cents francs !
— Fameux ! cria Fifine. Quelle noce !
— Tais-toi, et ronge ton os en silence, gronda sourdement l’ex-agent, qui, comme tous les gens sortis de la plèbe, n’avait aucun égard pour ceux dont il avait été si longtemps l’égal.
Puis, s’adressant à Filoche, il ajouta :
— Toi, tu vas immédiatement te procurer un lit convenable et tout ce qui peut être nécessaire au blessé.
— Quoique ce soit dimanche, il n’est pas tard, je trouverai cela facilement.
— Bien, n’épargne rien. Quand il n’y en aura plus, il y en aura encore
— À la bonne heure !
— Si, à son réveil, ton blessé me demande, tu lui diras que je reviendrai.
— Quand ?
— Demain matin.
— Bon.