Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

II

OÙ L’INCONNU LÈVE UN PEU SON MASQUE

Il y eut un court silence.

Puis la malade, qui cherchait à recueillir ses souvenirs, à réunir dans sa tête affaiblie les faits qui s’étaient passés dans cette nuit, si triste pour elle, si gaie pour les autres, eut comme un éclair devant les yeux.

Elle se rappela les dernières paroles de l’inconnu :

« Je suis votre ami, et je veux votre enfant. »

Tout disparut pour elle, soins, secours, sympathie évidente des deux hommes, elle oublia tout, et, se dressant comme pour défendre l’approche de son fils à ses ennemis supposés, elle s’écria :

— Je me souviens ! je me souviens !… Laissez-moi !… Vous voulez me le prendre… me le voler !… Vous ne l’aurez qu’avec ma vie !

Et, sans écouter le docteur, pour qui cette recrudescence de nervosité remettait sa guérison en question, elle voulut se lever, saisir le pauvre petit et quitter l’asile où on l’avait conduite durant son évanouissement.

Les malheureux sont défiants.

Les bienfaits imprévus leur portent surtout ombrage.

Ils sont tellement accoutumés à l’indifférence générale, qu’ils supposent presque toujours un vil intérêt, une raison méprisable à quiconque leur témoigne de la pitié.

Ici, la pauvre femme, à qui la mémoire revenait, avait les meilleures raisons du monde pour se défier de ces deux hommes qui venaient de la rappeler à la vie.

Elle ne réfléchit pas qu’il leur aurait été bien plus facile de la laisser mourir, ou de profiter de son anéantissement pour exécuter les desseins qu’elle leur prêtait.

Aussi fut-il malaisé au docteur Martel de lui rendre la confiance en eux qu’elle venait de perdre.

Pourtant, à force de raisonnements, de soins et de douceur, il parvint à lui faire comprendre que l’homme dont la présence, une heure auparavant, avait failli lui devenir si fatale, qui lui était apparu comme un mauvais génie acharné à sa perte, était son sauveur et celui de son enfant.

— Le moment des explications n’est pas encore venu, ajouta ce dernier, vous n’êtes point encore en état de m’entendre sans trouble. Qu’il vous suffise quant à présent, pauvre enfant, de savoir que personne plus que moi ne s’intéresse à vous.

— C’est vrai, fit le docteur, qu’il interrogeait du regard.

— Depuis plusieurs mois déjà je vous suis dans l’ombre, pas à pas ; je connais votre vie de travail, de lutte et de misère. J’ai dû vous paraître inflexible, cruel ; ma conduite et mes actions témoignaient contre moi. Mais