serait pas arrêté, si le prudent médecin ne lui avait, pour ainsi dire, arraché les morceaux de la bouche.
— Il va s’étouffer, si on le laisse faire ! dit le docteur Martel en riant.
— J’en veux encore.
— Tu en auras, si ta maman se réveille, dit l’inconnu
— Alors donne-m’en… la voilà qui me regarde.
Le petit Georges allait s’élancer vers sa mère, qui, après s’être levée brusquement en se soutenant sur ses deux bras, venait de faire entendre un léger cri d’étonnement et de joie.
Mais, sur un signe du médecin, l’enfant fut retenu.
Le corps penché en avant, les mains jointes et tendues vers lui, le regard avidement fixé sur lui, sa mère le contemplait ; ses traits fatigués rayonnaient d’une auréole de bonheur.
— Georges ! fit-elle à voix basse.
— Maman ! répondit l’enfant.
— Faut-il le laisser libre ? demanda l’inconnu.
— Non, dit le médecin ; attendez.
Et examinant la pauvre femme avec la plus scrupuleuse attention, il suivait anxieusement tous ses mouvements.
L’inconnu s’était suspendu à ses regards.
— Georges ! répéta la mère, mon enfant ! mon cher enfant !
L’enfant, laissé libre, accourut dans ses bras.
Alors, ce furent des mots sans nom, des exclamations sans suite, des cris de ravissement entrecoupés de sanglots et de contractions, et qui aboutirent à un déluge de larmes silencieuses.
— Allons ! ça y est, s’écria le docteur. Il n’y a plus rien à craindre. Laissez-la pleurer à son aise ; dans quelques minutes elle sera complètement rétablie. Ouf ! nous l’échappons belle !
Et le docteur serrait avec effusion les mains de son ami, qui osait à peine en croire sa parole et le propre témoignage de ses yeux.
Quant à Georges, il sautait autour de sa mère, qui, le premier mouvement d’effervescence une fois passé, l’avait laissé aller ; il battait des mains, riait et se rapprochait insensiblement de la table, où il avait l’intention de se réintégrer.
— Viens, maman ; tu as faim, mange. C’est bon, tout ça… et mon bon ami ne demande pas mieux que de t’en donner ; et il la tirait par sa robe.
À peine avait-il achevé, que la mère releva la tête, et s’adressant à l’inconnu qui témoignait la plus tendre sollicitude pour l’enfant :
— Comment se fait-il, dit-elle d’une voix brisée par tant d’émotions, que vous qui, il y a une heure à peine, vous êtes montré si cruel envers moi, je vous trouve maintenant si bon pour mon fils, pour mon Georges bien-aimé ?
L’inconnu embrassait l’enfant, qui se mit à dire :
— Maman, j’ai sommeil.
— Dors, petiot, lui dit le docteur. C’est encore ce que tu as de mieux à faire.
Et on retendit sur le canapé, où il s’endormit, la tête sur les genoux de sa mère.