Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/503

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— La pauvre créature, reprit le docteur Martel, ne sort de son immobilité que pour renouveler huit ou dix fois par jour la scène à laquelle vous venez d’assister.

— Ah !

— Il doit y avoir sous jeu quelque ténébreuse histoire, quelque pénible souvenir dont, malheureusement, on ne saura jamais le premier mot.

— Qui sait ? répliqua l’agent d’un air pensif. Vous là connaissez, cette malheureuse ?

— Je ne connais d’elle que sa folie.

— Comment ?

— Amenée par un grand seigneur étranger, qui n’a pas voulu me dire son nom, mais qui a payé sans marchander le prix de sa pension dans mon établissement, elle vit entourée de soins et d’égards, vous le voyez.

— Bon, après ?

— Après ? mais rien ! Je suis médecin. Je me dois à ceux qui souffrent, quel que soit leur passé. Je n’ai pas essayé de découvrir un secret qui ne me concerne en rien et qu’on semblait vouloir me cacher.

— Et vous avez bien fait, docteur, s’écria l’ex-agent.

— Vous trouvez ?

— Vous avez agi en honnête homme.

— Ainsi, les honnêtes gens, mon cher monsieur Jules, sont, à votre compte, ceux qui ne s’occupent jamais des affaires des autres ? dit imperturbablement le médecin.

— Sans doute, répondit M. Jules avec embarras.

— Enchanté d’apprendre cela de votre bouche.

Et le docteur Martel allait prendre congé de son nouveau client, quand l’ouvrier cambreur, qui avait écouté silencieusement l’entretien précédent, s’avança et lui dit :

— Vous n’avez plus besoin de moi, monsieur le docteur ?

— Non, mon bon Rifflard, vous pouvez vous retirer. Seulement, ne l’oubliez pas, demain je vous attends.

— Je viendrai de bonne heure.

— C’est cela.

Au moment où Rifflard se dirigeait vers la porte, M. Jules l’interrogea :

— Vous vous en allez ?

— Oui, monsieur.

— De quel côté allez-vous ?

— Je remonte du côté des Halles… je demeure rue aux Fers.

— Voulez-vous me rendre un service, monsieur Rifflard ?

— Tout de même.

— Je me sens encore un peu bancroche… un peu faible… Je ne suis pas très solide sur mes jambes… donnez-moi le bras…

— Jusque chez vous ?

— J’ai à causer avec vous.

— Vous me flattez, monsieur Jules. À votre service. Je ne suis pas pressé, moi.