Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/507

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— Voyons, mon bon monsieur Jules, reprit Rifflard après un moment de réflexion. Il n’est pas possible que vous serriez votre langue dans le fond de votre palais, sans un motif aux pommes.

— Tu veux m’attendrir… pour m’exciter à la confiance, hein ?

— Ah ! vous êtes malin… il n’y a pas moyen de piger avec vous.

— Que veux-tu savoir ?

— Vous avez quelque chose qui vous tracasse.

— Eh bien !

— Qu’est-ce que c’est ?

L’agent s’arrêta.

— Tu es curieux, mon bon Rifflard ? lui dit-il.

— Il faut bien passer le temps.

— Soit. Je suis bon prince. Sais-tu ce que je suis allé faire rue des Batailles ? lui demanda-t-il avec brusquerie.

— Ma foi, non, répondit son compagnon sans qu’un des muscles de son visage bougeât.

Il flairait le piège.

M. Jules espérait que la soudaineté de la question troublerait son interlocuteur.

Voyant qu’il n’en était rien, il continua :

— Eh bien ! je vais te le dire.

M. Jules tutoyait toutes les personnes qu’il voyait pour la deuxième ou troisième fois, dès que ces personnes lui paraissaient occuper, dans la société parisienne, une position inférieure à la sienne.

Rifflard le savait.

Aussi cette familiarité, loin de le blesser en quoi que ce fût, lui était une garantie, — une garantie de sécurité.

— Je vous écoute, monsieur Jules.

L’ex-agent fut sur le point de commencer un récit sans queue ni tête.

Il pensait, à part lui, que de la sorte il saurait bien distinguer à la longue sur les traits de son auditeur une expression quelconque d’étonnement ou d’incrédulité.

Mais il renonça à ce petit moyen.

Voyant que l’ouvrier cambreur attendait toujours, il se décida à lui rompre en visière.

— Ainsi, lui dit-il en le regardant bien en face, voilà une comédie que vous allez me mettre en cinq actes, hein ? mon bon ami.

— Vous dites ?

— Je dis, mon vieux, qu’il vaudrait mieux nous contenter des deux que vous avez déjà joués à mon bénéfice, ce matin rue des Noyers et ce soir chez le docteur Martel.

— Tiens ! fit Rifflard avec tristesse, vous ne me tutoyez plus. Pourquoi donc ça, mon cher monsieur Jules ?

— Parce que voilà six mois que vous me roulez, et que j’en ai assez comme ça.

— Ah !