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— On connaît les bons endroits, et on y vient pour faire plaisir aux camaraux.

— Et pour donner un coup de main…

— Ou de pied…

— Aux amis.

— Oui, la Cig…

La main du domino orange coupa là fin de la phrase.

Le diablotin Mouchette, on l’a reconnu déjà, marmotta à part lui :

— Pas de chance au bilboquet ce soir. Faut que je m’éteigne'

Et il se tint coi et silencieux le plus longtemps que cela lui fut possible.

On verra que cet effort ne fut pas de bien longue durée.

Cependant la bande de débardeurs venait de s’asseoir à la table du pierrot.

On remplit les verres, et l’on trinqua de part et d’autre sans accorder la plus petite attention aux quolibets de la partie adverse.

Par partie adverse nous entendons parler de la bande des bourgeois aux longs nez.

Seul, le pierrot ne prit point part à ces libations.

— Tu ne trinques pas avec nous ? demanda le débardeur noir.

— Merci.

— Merci oui, ou merci non ?

— Merci non.

— Pourquoi ?

— Je n’ai pas soif.

— Ah ! fit le débardeur, noir avec une pointe, d’ironie dans son exclamation.

— Je vous ai offert place à ma table, continua le pierrot avec une certaine animation, pour vous épargner une querelle avec des malotrus ; est-ce une querelle avec moi que vous venez chercher ?

— Pauvre petit moineau ! grommelait dans son coin de table l’Orange, qui gardait toujours le diablotin à califourchon sur ses larges épaules.

Le Noir reprit :

— Quand on n’a pas soif, on ne boit pas. C’est de toute justice. Mais par pure politesse on fait semblant de boire.

— Je fais ce qui me plaît.

— À ton aise, camarade. Nous sommes tes obligés et nous ne payerons pas un bon procédé par un mauvais.

— C’est encore bien heureux ! repartit ironiquement le pierrot, dont la patience ne paraissait pas être la vertu dominante.

— Laisse-moi te donner un conseil.

— Un bon ?

— Tu en jugeras.

— Ce sera le premier.

— Ah ! ah ! dit le débardeur de son ton le plus tranquille, ma jolie pierrette…

— Hein ?