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Des figures effrayées apparaissaient aux fenêtres entrouvertes de toutes les maisons de la rue d’Angoulême-du-Temple et de la rue de Malte.

Un noyau de curieux se forma dans la première de ces deux rues. Les coups de feu l’avaient attiré, créé.

En moins de temps qu’il ne nous en faut pour le raconter, ce noyau germa, fleurit, devint arbre, et porta des fruits. Si bien qu’au bout de deux minutes la foule des badauds, ivrognes, filous, était compacte au point d’obstruer la circulation.

Pourtant, par une de ces anomalies qui montrent que, même dans une folle nuit carnavalesque, la capitale du monde civilisé ne se livre pas, poings et pieds liés, aux saturnales des chicards en goguette ou des clercs d’huissier en rupture de ban, du bout de la rue donnant sur le canal Saint-Martin, on entendit un bruit de fusils.

C’était une compagnie d’un régiment de ligne, arrivant au pas de course.

Un commissaire de police et plusieurs officiers de paix la précédaient.

La foule s’écarta.

La maison fut cernée de façon à ne pas laisser s’évader un enfant ou une femme.

Le commissaire de police ordonna d’allumer des torches, et des lanternes.

Puis il pénétra dans la maison.

Un spectacle de désolation et de sang s’offrit à sa vue.

Le rez-de-chaussée du pauvre Tournesol se trouvait littéralement saccagé.

Meubles, cloisons, vaisselles, verreries, tout était brisé.

Cinq hommes gisaient sur le sol, le crâne ouvert, frappés par la même main, ne donnant plus signe de vie.

Ces cinq hommes faisaient, partie de la troupe de M. Jules.

Six autres se tenaient assis par terre ou appuyés à la muraille, blessés plus ou moins grièvement.

Maître Coquillard-Charbonneau, qui avait commencé par se faire balayer, dans la rue, lui et son faux-nez, venait de recevoir un si mauvais coup, sous son costume de malin, qu’il en avait perdu connaissance dès le début de l’action.

Assommé par ses ennemis, piétiné par ses amis, le malheureux n’avait pas encore repris ses sens.

M. Jules pour son compte personnel, s’était tiré d’affaire, les braies à peu près nettes.

Grâce à son retranchement, c’était à peine s’il avait reçu deux ou trois contusions légères.

Au pied du comptoir, enfin, gisait le domino vénitien.

Inutile d’ajouter que le débardeur noir et le débardeur orange, le pierrot et le diablotin avaient disparu.

Ils avaient profité de la nuit si habilement faite par Mouchette, sur le signal donné par la Cigale, pour s’échapper et pour laisser les hommes de M. Jules s’entr’assommer et s’entr’égorger les uns les autres.

Ce dernier, du reste, dès le premier moment d’émotion passé et quand l’ordre fut un peu revenu dans ce désordre, commença par chercher ses