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Les cris de : À mort ! à mort ! poussés par M. Jules, succédant aux cris de : Prenez-le vivant ! proférés parle domino vénitien ; les plaintes des blessés, le cliquetis du fer, le bris des meubles et le heurt des armes s’entrechoquant furent dominés à un moment donné par la voix stridente du débardeur noir, jetant ces trois mots :

— Il est temps.

— Prrr ! ouitch ! fit le débardeur orange : prrr ! ouitch !

À ce signal, tout s’éteignit, rampes et becs de gaz.

Des ténèbres profondes, remplacèrent subitement l’éclatante lumière qui éclairait les combattants.

Mouchette le diablotin devait être pour quelque chose dans ces ténèbres-là.

Cependant, malgré l’obscurité, le combat continua avec un acharnement sans égal.

Les verres, les bouteilles, les assiettes, les vitres, volaient en éclats.

Les cris, les plaintes, les malédictions, se croisaient incessamment dans l’air, mêlés au froissement du fer, au bruit mat du bois frappant la chair.

Par échappées, les lueurs des coups de feu rayaient les ténèbres de leurs sinistres éclairs.

On ne s’entendait pas plus qu’on ne se voyait.

Au milieu de cette confusion inénarrable, M. Jules essaya bien deux ou trois fois de dominer le bruit de la lutte et les hurlements des combattants.

Mais la fureur des blessés, touchant à la folie, l’entraînement des autres qui, pareils à des bêtes féroces, avaient flairé le sang, furent plus forts que sa volonté.

Il y perdit sa peine et sa voix.

À tout prendre enfin, l’instinct de la conservation parlant chez lui avant les autres considérations, il s’orienta, renversent ceux-ci, rampant entre ceux-là, parvint au rempart que le débardeur noir s’était élevé au moyen de la table renversée, et, une fois à l’abri, il respira.

Ses hommes se déchiraient, s’assommaient, s’égorgeaient.

C’était un petit malheur.

Pourvu que, la bagarre finie, on remit la main sur celui qu’il regardait comme le chef des Invisibles, M. Jules n’en demandait pas davantage, et il passait condamnation sur la perte fort réparable d’une demi-douzaine de ses coryphées.

Il se faisait même un malin plaisir de penser que mal pouvait être advenu au pierrot, au diablotin et au domino noir, ces trois derniers personnages s’étant mêlés de choses qui ne les regardaient en rien.

Par malheur, l’ex-chef de la police de sûreté proposait plus souvent qu’il ne disposait.

Les événements ne marchèrent pas tout à fait comme il l’espérait.

Le reste de son escouade avait réussi à enfoncer la porte d’entrée du Lapin courageux, si consciencieusement verrouillée par le débardeur orange.

Cela fait, les hommes masqués qui la composaient s’étaient rués comme une avalanche dans la boutique.

Le désordre était à son comble.