Aller au contenu

Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personnage à la tenue si orgueilleuse, qui s’en allait aussi piètrement, après avoir fait une entrée aussi triomphale.

Au moment de leur donner l’adresse de l’inconnu, M. Jules réfléchit qu’il serait plus adroit de ne rien leur donner du tout et de finir la chose lui-même, à l’insu de ses sicaires.

Il donna l’adresse de son propre domicile, boulevard du Temple.

On se mit en route.

Il suivit.

De son côté, le commissaire de police ne perdait pas son temps.

Il procéda immédiatement à une visite exacte et minutieuse de la maison.

Pas un coin ni un recoin du Lapin courageux ne furent négligés.

Ce fut en vain.

Les Invisibles venaient de mériter leur nom une fois de plus.

Ils avaient disparu sans laisser l’ombre d’une trace.

Le restaurant et le magasin de François Tournesol se trouvaient dans un état de vide complet.

À force de chercher, on trouva quelque chose quelque part.

On trouva le malheureux cabaretier provençal et ses douze garçons, dont six d’extra, dans la plus belle cave de l’établissement.

Ils étaient étendus, les uns près des autres, symétriquement, sur la terre, garrottés avec une adresse rare sans que la corde les blessât, bâillonnés avec des poires d’angoisse élastiques, et la tête couverte d’une serviette.

Les Invisibles ou leurs acolytes avaient poussé la délicatesse jusqu’à ne se servir que de serviettes blanches.

Le commissaire de police s’empressa de les faire délier, débâillonner, et de leur demander force petits détails.

Le sieur Tournesol répondit par des exclamations de désespoir, entrecoupées de malédictions à l’adresse de M. Jules et de Coquillard-Charbonneau, qui prenaient sa maison pour une souricière.

Cette fois les souris et les rats avaient mangé les chats.

Et, à vrai dire, maître Tournesol avait été assez largement payé, dédommagé de ses pertes par les cinq débardeurs, pour ne pas se ranger du côté de leurs persécuteurs.

Un cabaretier a toujours une reconnaissance éternelle pour l’honnête ou le malhonnête client qui lui remplit sa poche ou sa caisse.

Les garçons se secouèrent, reprirent pied, poussèrent quelque douzaine de cris joyeux en sentant leurs goussets regorgeant d’écus, mais ne donnèrent aucun renseignement.

Ils ne savaient absolument rien de plus que ce que savait M. le commissaire.

À quatre heures du matin, ce dernier se retira, tout désappointé du mauvais résultat de ses recherches, et se promettant de s’en prendre à M. Jules du buisson creux qu’il venait de trouver.