Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/565

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On eût dit un orchestre de bal.

Le débardeur noir savait probablement à quoi s’en tenir là-dessus.

Il ne se donna point la peine d’expliquer à ses compagnons où, pourquoi, et si l’on dansait dans les appartements circonvoisins.

— Nous voici en sûreté ; causons, dit-il.

— La parole est d’argent, le silence est d’or ! répondit sentencieusement Mouchette. C’est l’opinion de m’man Pacline, c’est la mienne aussi. Je ferme ma boîte à musique. À un autre le tour.

Et il s’étala de plus belle sur le velours de son fauteuil.

— Entendez-vous, messieurs ? s’écria la comtesse de Casa-Real en se penchant vers le mur de séparation.

— Quoi ! mon ami Pierrot ? demanda le débardeur noir avec une nonchalance ironique.

— Des allées et des venues dans la pièce voisine.

— En effet.

— On fait des recherches…

— On veut nous trouver, c’est bien le moins qu’on nous cherche un peu.

— On nous trouvera.

— Oh ! c’est une autre chanson !

— Ne parlez pas aussi haut tout au moins.

— À quoi bon toutes ces précautions, ô Pierrot, mon camarade ? D’ici nous pouvons voir et entendre qui et ce qu’il nous plaira, mais nul ne peut nous entendre ou nous voir.

— Impossible de le prendre en faute, pensa la comtesse Hermosa. Il faudra pourtant bien que je vienne à bout de cet homme.

Le débardeur noir coupa sa réflexion par le milieu.

— Orange ! appela-t-il.

La Cigale accourut à son ordre.

— Vas où tu sais, continua le débardeur noir.

— Bon, fit le géant. Seul ?

— Prends le petit.

— Il vous gêne ?

— Oui.

— Hope là ! dit la Cigale.

Et sans ajouter d’autre observation, le colossal débardeur orange s’approcha du diablotin, qui se faisait des grâces dans une glace de Venise placée en face de lui, l’empoigna par le fond du vêtement que la pudeur anglaise ne permet pas de nommer, et le jeta sans façon sous le bras.

— De quoi ? hurla Mouchette, qui se trouvait mieux dans son siège nouvellement rembourré que sous le bras anguleux de son gigantesque ami. Encore un voyage d’agrément ! Je ne veux pas prendre le train tout seul. Où sont les voyageurs ?

— Viens avec moi, et tais ton bec, dit l’autre, se dirigeant vers la porte d’entrée.

— Je me tairai si ça me plaît, criait Mouchette en gigotant comme un écureuil dans sa cage. Et comme cela ne me plaît pas, je parlerai.