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— Es-tu là, compagnon ? demanda le débardeur noir.

— Je suis là, répondit-on.

— Seul ?

— Non.

— Combien ?

— Deux.

— Bien. Le cabaretier ?

— Garrotté, bâillonné et couché dans sa cave.

— Ses garçons ?

— Garrottés, bâillonnés et encavés comme lui.

— Ont-ils fait résistance ?

— Très peu. On les a payés et dédommagés d’avance.

— En avant ! dit simplement le débardeur.

Un bruit sec se fit entendre, et une lueur subite pénétra dans la pièce où ils se trouvaient.

La plaque d’une vaste cheminée venait de se déplacer et de disparaître le long d’une rainure se fondant dans la boiserie.

— Hâtez-vous, dit le débardeur.

Ses compagnons lui obéirent sans hésitation.

— Tu es décidé à nous suivre jusqu’au bout, petit ? dit la Cigale au diablotin, qui, à son tour, se préparait à se glisser au travers de la trappe.

— Pardi ! répliqua le gamin, j’ai pris mon élan, faut qu’ça roule.

— Tu sais à quoi tu t’engages ?

— Vous êtes bavard ! fit Mouchette avec un geste plein d’importance et de raillerie.

— Il y va de la vie !

— Ô misère ! un chiffon, quoi !

— Il y va de la vie de ton répondant !

— La Cigale vivra plus longtemps que toi, mon petit vieux. Allons-y, si vous ne voulez pas qu’on nous arquepince tous les deux.

Le calme semblait, en effet, se rétablir au rez-de-chaussée.

— Va, moutard.

— Enlevez, c’est pesé ! cria le gamin, et il passa.

Le débardeur le suivit.

Derrière lui, la trappe retomba.

Presque aussitôt, un bruit de pas lourds et de crosses de fusils se fit entendre.

— Il était temps ! murmura le guide des fugitifs.

— Et que juste ! ajouta Mouchette, qui, chez lui partout, dans un palais aussi bien que dans un taudis, se vautrait tout de son long sur une causeuse de la plus grande élégance.

La pièce dans laquelle ils se trouvaient était vaste, somptueusement meublée et éclairée par un lustre à verre dépoli.

De lourdes portières en tapisserie assourdissaient les portes et les fenêtres.

Pourtant, par intervalles, une musique lointaine envoyait des bouffées d’harmonie dans cette salle.