Le débardeur lilas, que la créole Venait de prendre à partie, n’avait pas desserré les dents depuis son entrée.
Il répondit, après une légère hésitation :
— Nous ne sommes pas modestes, mon joli Pierrot.
— C’est sa voix, pensa-t-elle.
Et voulant vérifier si son oreille et sa mémoire ne la trompaient pas, elle saisit la balle au bond et reprit :
— Péché confessé est à demi pardonné. Vous convenez de votre orgueil, je l’excuserai donc facilement.
— C’est une qualité que Mme de Casa-Real comprend chez les autres, elle qui la possède à un si haut degré.
— Je savais bien que je vous forcerais à parler, monsieur le comte de Warrens. Je savais bien que partout où se trouvent les Invisibles, vous vous trouvez.
— Ah ! vous aussi, madame, vous tenez à donner ce nom à ces messieurs. Libre à vous.
— Il me semble, d’après ce qui vient de se passer, qu’ils l’ont justifié. Mais ce n’est pas de vos amis qu’il s’agit, c’est de vous-même, monsieur le comte.
— Voilà deux fois que vous me donnez ce titre, madame, je regrette de ne pouvoir le garder.
— Vous niez ?
— Faut-il me démasquer ?…
— Comme monsieur ? ajouta la créole en riant et en montrant le débardeur noir, qui causait bas avec le bleu ; non, je vous remercie, on s’est déjà joué de moi, cette nuit. Je ne désire pas vous donner raison de nouveau.
— À vos ordres.
— Un mot encore, je vous prie.
— Parlez, je vous écoute.
— Où sommes-nous ?
— Dans le salon d’une maison bourgeoise, qui se trouve très honorée de vous recevoir.
— Ces fenêtres donnent… ?
— Rue de Malte.
— Cette maison est contiguë au restaurant du Lapin courageux ?
— Oui, comtesse.
— Je suppose que vous et ces messieurs vous êtes toujours dans l’intention de vous débarrasser de ma personne.
— Séparer est plus vrai, madame.
— Pas de politesse. Parlez franc.
— Pour vous-même, dans votre propre intérêt, il importe que vous nous quittiez.
— Bien. Vous êtes les plus forts, il me faut vous céder la place.
— Oh ! madame, pourquoi nous parler ainsi, quand votre salut seul… ?
Elle l’interrompit nerveusement et dit :
— Votre sollicitude me touche. J’espère un jour pouvoir m’acquitter envers vous, et vous rendre guinée pour souverain.