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Puis il s’était approché d’un des angles de la boiserie du salon, et il avait écouté, l’oreille collée contre la muraille.

Au bout d’une courte attente, il se redressa le sourire aux lèvres.

Ce qui prouvait que, malgré les renseignements donnés par le débardeur noir à la comtesse de Casa-Real, le chef des Invisibles n’était pas un étranger dans la demeure, dut riche Espagnol en question, ou que du moins il avait des affidés sûrs.

Sans parler du signal qu’on venait de lui donner et qui avait amené un sourire de contentement sur ses lèvres, depuis plus d’une demi-heure que lui et ses compagnons s’étaient introduits dans l’hôtel, nul des nombreux invités masqués ou non masqués, circulant dans les salons voisins, ne s’était avisé de pénétrer dans le leur.

De sorte que cette vaste pièce, ouverte de tous les côtés, était demeurée aussi inviolable que si on l’eût verrouillée, cadenassée et entourée d’un cordon de sentinelles vigilantes.

Son expérience finie, le comte de Warrens revint prendre, sur le sofa, la place qu’il occupait précédemment.

— Messieurs, fit-il aussi tranquillement que s’il se fût trouvé à l’hôtel de Warrens, dans le kiosque où il avait si bien déjoué l’espionnage de maître Coquillard-Charbonneau, messieurs, veuillez, je vous prie, me prêter toute votre attention.

San-Lucar, Mortimer, Martial Renaud et la Cigale se rapprochèrent de lui.

Mouchette daigna lui-même se placer de manière à ne pas perdre un mot de ce qui allait se dire.

— Avant d’agir, je tiens à vous donner quelques explications indispensables à la réussite du projet pour lequel je vous ai réunis céans.

— Quel style ! murmura le gamin.

Le comte continua :

— Obéissant à nos instructions, à nos ordres, vous vous êtes trouvés, à l’heure convenue, au cabaret du Lapin courageux, bien qu’à juste titre le lieu vous semblait assez mal choisi pour une réunion des principaux membres de notre association.

Aucun des Invisibles ne se permit un geste, mais à leur sourire le comte de Warrens vit qu’il avait touché juste.

— Mon Dieu, messieurs, reprit-il, nul d’entre vous n’a le droit de discuter les ordres du grand maître, je le sais, mais chacun de vous est libre, dans son for intérieur, de les apprécier en bien ou en mal, et je tiens trop à votre opinion pour ne pas chercher à vous prouver que, tout singulier qu’il paraisse de prime abord, ce lieu de rendez-vous était le seul qu’il fût possible de choisir et de vous assigner.

— À quoi bon ces explications ? Nous avons en vous la confiance la plus absolue, mon cher Passe-Partout, dit San-Lucar.

— Nos chefs n’agissent jamais sans avoir pesé longuement le pour ou le contre de chacune de leurs démarches, ajouta Mortimer, nous savons cela.

— Ces messieurs ont raison, fit Martial Renaud à son tour, nous sommes ici pour obéir et non pour discuter.