Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/584

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— Vous m’écouterez, amis, c’est au mon et dans l’intérêt de l’œuvre que je parle.

Les quatre Invisibles ne crurent pas devoir insister plus longtemps ; ils s’inclinèrent courtoisement en signe d’obéissance,

Mouchette jugea devoir les imiter.

Il avait deux raisons pour cela : la première, qu’il était bien aise de se mettre, par cette courtoisie, au niveau de ses quatre nouveaux compagnons ; la seconde, que, n’ayant pas compris un traître mot à tout ce qui venait de se passer et de se dire devant lui, il espérait fortement saisir un biais, un jour, un trou, par lequel il se faufilerait dans la situation.

C’était une fine mouche que notre gamin de Paris, et puisqu’il se dévouait corps et âme à une cause ou à un individu quelconque, il tenait essentiellement à savoir ce que pouvait être ce quelque chose ou ce quelqu’un.

— Vous savez, reprit le comte de Warrens, nous nous occupons de l’affaire de Belleville. C’est donc à Belleville même que nous nous rendons. Aujourd’hui, dimanche gras, tout Paris est en liesse. Riches et pauvres dansent, boivent ou festoient. On dort à peine. Tout le monde court les rues, les guinguettes et les bals publics ou privés. Impossible de circuler sans tomber sur un indiscret badaud ou sur un curieux patenté. Essayer de traverser la foule sans attirer tous les regards sur nous serait folie. Nous venons de nous tirer les braies nettes d’un guêpier, d’une souricière assez vigoureusement tendus. Il est inutile de courir une seconde fois le même danger.

— Il parle bien, pensait Mouchette, mais j’en dirais autant, ! Ousqu’il veut arriver ! voyons donc ça !

— On nous a littéralement cernés et mis en état de siège, continua le chef des Invisibles ; mais que cela ne vous inquiète pas. Mes précautions sont prises, et sans l’arrivée, sans la présence de Mme de Casa-Real dans le cabaret du Lapin courageux, depuis une heure déjà nous serions à Bellevile, en dépit de la surveillance de tous les séides de M. Jules.

Martial Renaud fit signe qu’il ne comprenait rien du tout.

San-Lucar et Mortimer s’entre-regardèrent, stupéfaits.

La Cigale, fière de son capitaine, humait chacune de ses paroles et considérait d’un air de profonde pitié ces hommes qui, tout en se mattant pieds et poings liés à sa disposition, n’acceptaient pas, à cervelle close, la plus incompréhensible des assertions.

Mouchette se grattait le bout du nez, geste qui chez lui signifiait en lettres majuscules :

— Je jette ma langue aux chiens.

Le comte continua :

— Je m’explique, messieurs, et surtout ne vous impatientez pas si mes renseignements vous paraissent tant soit peu cousus de longueurs. Il est de toute nécessité que nulle trace ne reste de notre expédition nocturne ; j’ai besoin de votre aide pratique et de votre concours le plus intelligent.

— Allez-y gaiement ! ne put s’empêcher de grommeler Mouchette.

La Cigale lui allongea une pichenette qui le fit tomber à genoux.

Il se releva, brossa son pantalon et salua en disant :