Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/597

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La force !… Piquoiseux était jeune, nerveux, agile, mais la tranquillité écrasante du spectre noir qui se tenait devant lui dénotait un mépris profond de ses moyens de défense.

La situation n’était pas tenable pourtant.

Il fallait en sortir à tout prix.

Piquoiseux étendit les bras et ouvrit la bouche.

Le spectre noir lui saisit le poignet, et tout en le regardant à travers les trous de son masque avec des yeux brillants comme ceux d’un tigre, il lui coupa la parole.

— Où vas-tu ? lui demanda-t-il d’une voix sourde et rauque.

— Je… je… Laissez-moi vous dire…, répondit le secrétaire de M. Jules qui ne put achever sa phrase.

Sa gorge en feu ne lui permit pas d’exprimer sa pensée.

La terreur lui paralysait la langue.

Piquoiseux n’était pas un lâche, puisqu’il s’était lancé à corps perdu sur une piste qu’il savait parfaitement pouvoir devenir mortelle ; mais la surprise, l’isolement, les ténèbres, jusqu’à cette pluie fine et continue qui lui fouettait le visage, tout contribuait à lui enlever son énergie à le courber jusqu’à terre.

— Aussi lâche que traître ! murmura l’inconnu avec une expression de mépris et de dégoût indicible.

Et serrant à le briser le poignet qu’il tenait enchâssé dans sa main droite, il ajouta :

— Réponds, misérable, où vas-tu ?

— Je… je m’en vais.

— Où cela ?

— Je rentre chez moi, fit M. Piquoiseux, qui battait les champs.

— Tu mens !

— Je vous jure…

Et tout en répondant, le pauvre diable cherchait à se dégager de l’étau qui le retenait prisonnier.

— Tu mens ! répéta l’homme masqué. Tu es venu ici, comme un espion avide de nouvelles et de trahisons.

Piquoiseux claquait des dents en se voyant percé à jour de la sorte.

— Tu voulais savoir, continua inexorablement l’inconnu, qui s’érigeait en juge ; tu sais.

— Moi… rien du tout… je ne sais rien du tout.

Et il se tordait de terreur et de douleur.

— Tu as voulu voir les Invisibles, tu les as vus.

— Vous vous trompez !

— Tu les as vus, et tu sortais pour les dénoncer, pour les faire poursuivre et saisir.

— Non ! non ! râla le malheureux, terrifié par tant de lucidité, et qui en vint à croire un moment que l’inconnu faisait partie de la contre-police de M. Jules.

Son adversaire ne donna aucune attention à ses réponses et à ses haut-le-corps, il lui dit de la même voix lente et sourde :