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Elle n’existe plus aujourd’hui, cette descente de la Courtille qui éveillait jadis tant de curiosité, tant de sympathies même, dans toutes les classes de l’ancien Paris.

Elle n’existe plus !

Bon voyage !

Disparue pour toujours, elle est allée s’engloutir dans l’abîme sans fond auquel l’honnête Villon redemandait ses neiges d’autan.

Grand bien lui fasse !

Pour notre compte personnel, nous ne la regrettons pas plus, et pour cause, cette famélique descente de la Courtille, reste égaré de la Cour des Miracles, que nous ne regrettons les susdites neiges d’antan.

Le passé est le passé.

Qu’il garde ce qui lui appartient.

À nous le présent.

À nos descendants l’avenir.

Foin de ces pleurards sempiternels qui sans rime ni raison jettent sans cesse les morts à la tête des vivants !

La descente de la Courtille est une verrue de moins sur la face plombée de l’antique Lutèce devenue le nouveau Paris.

Il en restera toujours assez !

Or, le bal du Grand-Vainqueur s’élevait sur la déclivité de la montagne de Belleville.

Le jardin, dans lequel se réunissait l’élite des viveurs du faubourg du Temple, était séparé, par une haute et solide muraille, d’un parc immense dont on ne connaissait pas le propriétaire.

Au milieu de ce parc s’élevait une grande et sévère bâtisse du xviie siècle, ancien château qui avait bien pu finir par dégénérer en petite maison.

Cette habitation, cerclée hermétiquement par la haute muraille en question, avait été construite dans des conditions telles, que nul œil curieux n’eût pu en contempler le moindre détail, une oreille indiscrète en percer le silence et la taciturnité.

Tous les cabarets, toutes les guinguettes de la rue de Belleville, illuminés le plus brillamment possible, du haut en bas, avaient l’air de servir de repoussoir à cette sombre demeure.

Ils éclairaient son impassible et noire immobilité.

Les chants bachiques, les cris joyeux, les crincrins des violons et les notes aiguës de la flûte ou du fifre qui s’éparpillaient le long de tous les échos de Ménilmontant faisaient ressortir le silence immuable de cette mystérieuse maison, triste comme un cénotaphe.

Minuit venait de sonner.

Au moment le plus échevelé de la fête, un homme soigneusement enveloppé dans les plis d’un épais manteau, cachant son visage sous les larges rebords de son feutre, et glissant de son mieux à travers la foule avinée, atteignit le mur de ce parc silencieux.

Il s’arrêta devant une porte bâtarde, tira une clef de sa poche, et après avoir jeté un regard inquiet autour de lui, il l’introduisit, dans une serrure micros-