fut subitement éveillée par la vue de ces caractères hiéroglyphiques, fit observer qu’il y avait un moyen bien simple de savoir à quoi s’en tenir.
— Qu’on coure à l’instant, dit-il, ou plutôt je vais aller moi-même à l’Institut ; là, parmi les nombreux savants qui peuplent cette auguste et docte assemblée, je trouverai bien quelqu’un qui déchiffrera ce grimoire.
De cette façon on était sûr de ne pas commettre une erreur, toujours préjudiciable à la réputation d’un établissement comme celui de la direction des postes.
L’employé aux rebuts lui confia la lettre énigmatique.
L’agent supérieur s’en empara et la porta sans perdre un instant, non pas à un des membres de l’Institut, non pas à un savant, mais au chef de la police de Sûreté lui-même.
Ce procédé, qui, avec quelque raison, semblerait extraordinaire aujourd’hui, n’avait alors rien que de fort usuel.
Le chef loua l’agent de son zèle, lui remit une gratification, se rendit à la Préfecture et fit appeler l’employé chargé des traductions qui ne put lui répondre non plus.
Seulement, sur la menace d’une destitution prochaine, il s’engagea à apporter la traduction le lendemain.
Le soir même, il alla trouver un marchand de bric-à-brac, professeur de langues mortes à ses moments perdus, rabbin de troisième ou quatrième classe, attaché à la synagogue de Paris, qui demeurait rue Jacob, dans une des boutiques attenant à l’hôtel de Warrens.
Ce marchand, appelé Élie Xhardez, cumulant son commerce de curiosités antiques, bâties dans un atelier de la rue Chapon, avec un négoce de vins du Rhin, Johannisberg, Assmanshauser et Stainberg, fabriqués avec des crus de Touraine coupés par de faux champagne, commença par se faire payer vingt francs pour sa peine.
Les vingt francs une fois empochés, il examina la lettre, se mit à rire et la rendit à l’agent de police en lui disant :
— Vous avez eu bon nez de vous adresser directement, à moi.
— Pourquoi cela ?
— Je suis le seul homme qui puisse vous traduire ce papier. Tout l’Institut s’y serait cassé les dents.
— En quelle langue est-il donc écrit ?
— En patois indoustani.
— Et vous le savez ?
— Comme un habitant de Saint-Brieuc sait le patois breton.
— Ah bien ! voilà une maudite lettre qui peut se flatter de nous avoir donné du mal.
— Vous avez eu bien tort de vous en faire, fit Xhardez d’un ton goguenard.
— Pourquoi cela ?
— Parce que cette lettre est une mystification.
— Une mystification… à l’adresse de qui ?
— À la vôtre… c’est-à-dire à celle de la police.
— C’est impossible.