Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/639

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Rioban se tut.

Il aurait pu continuer ainsi longtemps encore. Sa voix eût porté dans le vide.

Passe-Partout, immobile, pâle, le regard fixe, semblait ne plus avoir conscience de ce qui se passait autour de lui.

Rioban attendit quelques instants, puis, s’approchant de lui, il lui prit doucement la main.

— Comte, lui dit-il, vous souffrez ? Vous m’effrayez.

Le comte de Warrens poussa un long soupir, se frappa la poitrine à deux mains, et, jetant ce cri désespéré :

— Non ! Dieu ne nous abandonnera pas ! Non, tout n’est pas perdu !

Il secoua tout son être d’un effort irrésistible, comme un lion qui chercherait à rejeter loin de sa puissante poitrine les flèches empoisonnées et les balles meurtrières lancées par des ennemis cachés.

Ce fut tout.

Il retrouva sa force et son impassibilité.

— C’est fini, mon ami, ajouta-t-il en s’adressant au jeune homme stupéfié devant cette redoutable émotion. Vous m’avez annoncé de tristes, de terribles nouvelles. Merci à vous. Sans vos avis, d’immenses désastres auraient fondu sur nous. Merci encore. Oubliez tout ce que vous avez vu, et que nul de nos compagnons ne se doute de cet instant de faiblesse et de désespoir.

Rioban allait protester de son dévouement et de sa discrétion.

Passe-Partout l’interrompit :

— Je suis sûr de vous. Pas de serment ! Pas de parole inutile. Il est temps d’agir.

Alors, faisant quelques pas en arrière, il arriva à l’entrée du boyau où se tenaient ses autres compagnons.

Là il jeta, de toutes ses forces, le cri de ralliement convenu avec la Cigale.

Un cri pareil lui répondit.

L’écho le lui apporta, vingt fois répété.

Peu après, un bruit de pas se fit entendre.

Passe-Partout détacha la torche du mur et l’éleva au-dessus de sa tête.

Le reste de sa troupe l’eut bientôt retrouvé et rejoint.

Dès qu’il vit réunis autour de lui, attentifs et silencieux, San Lucar, Mortimer, Martial Renaud, la Cigale, Mouchette et le vicomte de Rioban, il leur dit :

— Messieurs, c’est l’heure de la lutte. Êtes-vous prêts ?

— Oui, répondit pour tous le colonel Renaud.

— Il faudra livrer bataille.

— Cela nous fera passer le temps, repartit sir Harry Mortimer.

— Et ça vaut mieux que de jouer au bouchon, ajouta le gamin de Paris.

— Je sais, continua le chef des aventuriers, que combattre n’a rien qui vous effraye, mes amis. Mais ce n’est pas combattre en risquant la victoire ou la mort qu’il faut, c’est vaincre à coup sûr que je veux.

— Pas dégoûté ! ricana Mouchette en faisant claquer sa langue contre son palais.