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airain autour du cœur pour s’aventurer ainsi, sans hésitation, sans tressaillement, sans un mot d’appréhension, dans ce souterrain infect, percé à plus de trente pieds au-dessous du niveau du sol.

S’avançant à travers des obstacles toujours nouveaux, ils bravaient la mort à chaque pas.

Et quelle mort !

Non pas cette mort glorieuse, publique et triomphale du soldat qui tombe à ciel ouvert, aux yeux de tous ses compagnons d’armes, au grand soleil, mais une chute obscure, une fin muette et sourde, une agonie désespérée, une tombe humide et fangeuse.

Pas d’inscription qui rappelle votre mémoire aux yeux des étrangers et des indifférents ?

Pas même une humble croix sur laquelle une main amie vienne déposer une couronne d’immortelles !

Rien !

Le néant !

L’oubli !

Les ténèbres éternelles !

Ô conscience du devoir bien rempli, de l’honneur satisfait, de l’humanité victorieuse, voilà ce que tu donnais à ces âmes, tranquillement héroïques, la force, la puissance, le courage de braver !

Ils marchaient !

Parfois, l’eau noire du ruisseau antique leur montait jusqu’à la ceinture.

Ils marchaient.

Des gouffres insondables s’ouvraient sous leurs pieds mal assurés.

Ils marchaient ! ils marchaient !

Tantôt, obligés de ramper comme des serpents, ils se traînaient dans la boue séculaire qui donnait asile à des reptiles sans nom.

Tantôt, se cramponnant aux parois de la muraille, au sommet abaissé de la voûte, ils se sentaient le visage souffleté par des essaims de chauves-souris volant lourdement au-dessus de leur tête, avec des cris lugubres et saccadés.

Ils marchaient !…

Cela dura près de deux heures !

Deux longues, deux éternelles heures !

Et, depuis le colosse jusqu’au nain, depuis le chef des Invisibles jusqu’au dernier de ses affidés, pas un ne poussa un soupir, ne proféra une plainte, ne laissa échapper même un geste de dégoût.

Cependant, sauf la Cigale et Mouchette, ces hommes appartenaient aux heureux de ce monde !

Riches, nobles, ils étaient grands parmi les grands de la terre !

D’où leur venait cette abnégation complète de leur personnalité ?

D’où ce renoncement à toutes les choses enviées et enviables ?

De l’idée consciente qu’ils faisaient le bien, qu’ils remplissaient un devoir sacré.

De temps à autre, Passe-Partout consultait le plan que le colonel Renaud avait remis au comte de Warrens en son hôtel du quai Malaquais.