Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/645

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— Prenez la peine de vous asseoir, messieurs, et causons, dit la dame voilée, restant debout et s’appuyant contre la table.

Le baron et le duc prirent place sur le divan.

— Où diantre sommes-nous ? demanda le premier en cherchant à s’orienter.

— M. le baron de Kirschmark ne se retrouve pas, ne se reconnaît pas dans sa propre demeure ? répliqua la voix railleuse de l’inconnue.

— Je m’y reconnaîtrais si l’on ouvrait la fenêtre.

— Ouvrez-la, si vous trouvez la chaleur trop violente.

— On gèle !

— Et si vous désirez que, le hasard aidant, un espion égaré volontairement dans ces parages entende tout ce qui se dira ici.

— Je n’y tiens pas.

— Taisez-vous alors ! fit rudement le faux duc de Dinan, et laissez madame s’expliquer.

— Je ne demande pas mieux. Que madame s’explique…

— Sur quoi ? demanda-t-elle.

— Sur la raison qui vous a poussée à vous introduire par surprise…

— Dites : par force.

— Par force, soit, dans cette maison.

— À qui avons-nous affaire ? questionna Kirschmark.

— De quel droit êtes-vous ici ? ajouta le général.

La dame voilée restait calme sous cette avalanche d’interrogations, qui menaçaient de tourner en invectives.

Quand ses deux interlocuteurs se furent tus, elle répondit avec la plus grande froideur :

— Vous me semblez bien curieux, mes beaux messieurs. Depuis quand, dans une entrevue pareille à la nôtre, la partie qui tient le haut du pavé est-elle obligée de s’incliner devant celle qui le lui cède ?

— Madame ! fit violemment le duc.

— Laissez-la donc parler, lui murmura vivement le baron à l’oreille.

— Quoique la moitié de vos questions me soit adressée par S. Exc. M. le duc de Dinan, auquel je ne donne le droit ni de m’interroger ni de se gendarmer contre ma présence, je consens à lui donner jusqu’à un certain point les renseignements qu’il me demande.

— C’est heureux ! grommela ce dernier.

— Voyons.

— Vous désirez savoir qui je suis, messieurs. Je suis une femme qui a l’habitude de faire tout ce qui lui convient. Vous cherchez à deviner le but de ma présence dans cette demeure mystérieuse et triste ? Je n’y suis venue que parce que mon bon plaisir, ma fantaisie m’y ont amenée, Là ! j’ai parlé ! Êtes-vous plus avancés maintenant ?

— Je connais cette voix ! se disait à part lui le duc de Dinan, fouillant dans ses souvenirs.

— Voilà des raisons qui n’en sont pas, riposta timidement le banquier.

— En voulez-vous d’autres ?