Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/651

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le duc et le baron demeurèrent immobiles.

Un homme parut à l’entrée du kiosque.

Il était masqué, lui aussi.

Il s’approcha de la dame voilée, échangea rapidement avec elle quelques mots dans une langue inconnue des deux autres, puis il sortit.

— Messieurs, ajouta l’inconnue, l’heure du péril approche. On vient de m’en avertir. Des gens suspects rôdent autour des murs qui entourent le parc et la maison. Décidez-vous.

— Au nom de Dieu, madame, cette condition, quelle est-elle ? demanda le banquier avec une angoisse que l’approche du danger rendait croissante.

— Dites, madame, dites, fit le général.

— Je crois que le moment est venu de vous l’apprendre, répondit-elle sans pouvoir déguiser une pointe d’ironie victorieuse. En vérité, il me semble impossible que vous ne l’acceptiez pas.

— Parlez !

— Voici ce que je demande, ce que je désire, ce que je veux, monsieur le baron de Kirschmark, monsieur le duc de Dinan, voici ce que je veux…

Les deux hommes buvaient chacune de ses paroles.

Elle allait achever.

Une voix forte se fit entendre au lieu de sa voix pleine d’harmonie, même dans ses moments les plus impétueux.

Cette voix ne prononça qu’un seul mot :

— Inutile !

Et les fenêtres du kiosque volèrent en éclats, et des hommes armés jusqu’aux dents, la figure barbouillée de suie ou masquée par un loup noir, apparurent, élevant des lanternes sourdes à hauteur de tête de la dame voilée.

L’âme de ces lanternes convergeant vers le centre du kiosque, les nouveaux venus demeuraient dans l’ombre, tandis que les trois complices se trouvaient dans un cercle de lumière.

Aucun de leurs mouvements ne pouvait, de la sorte, échapper à leurs adversaires.

À cette voix, à ce mot, l’inconnue se retourna comme une hyène prise au piège.

— Démon ! s’écria-t-elle.

— Les Invisibles ! murmura Kirschmark en se laissant tomber sur le divan qui se trouvait derrière lui.

— J’aime mieux cela ; au moins ce sont des hommes ! fit le duc retrouvant toute son énergie et sa bravoure d’ancien soldat en présence du danger et de la lutte prochaine.

Et il mit le pistolet au poing, attendant le premier mouvement agressif de ses adversaires.

La même voix railleuse et tranquille reprit :

— Madame la comtesse de Casa-Real daignera-t-elle nous donner quelques minutes d’audience ?

La comtesse, c’était bien elle, ne répondit rien.