Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis, jetant un cri de rage étouffée, se ramassant sur elle-même, elle tira un poignard de son sein, un de ces criss malais à la piqûre empoisonnée, et elle se rua l’arme haute sur l’homme qui venait de parler et qui se tenait immobile à l’entrée du kiosque.


VI

MOUCHETTE TÉNOR LÉGER

Le personnage sur lequel la comtesse Hermosa de Casa-Real s’était précipitée avec tant de furie était perdu, si la pointe de l’arme empoisonnée avait effleuré son épiderme.

Il comprit le danger terrible qui le menaçait.

Il connaissait de longue date ce poignard malais.

Il savait que la créole ne se lançait jamais dans une de ces aventures mortelles sans avoir en main le moyen de faire payer cher sa défaite.

La laisser arriver jusqu’à lui, c’était se livrer à une mort certaine, à une mort horrible.

Tirer sur elle comme sur un homme, c’était impossible, c’était lâche !

Passe-Partout (nos lecteurs l’auront bien reconnu) ne pouvait ni ne devait, le vouloir.

Il fallait prendre pourtant une résolution rapide comme les mouvements félins de son implacable ennemie.

Elle n’était plus qu’à deux pas de lui.

Son bras se levait pour frapper.

La lame bleuâtre, acérée, se balançait dans l’air.

Tous les spectateurs de cette scène imprévue, amis ou adversaires du chef des Invisibles, haletaient, immobiles, dans l’attente d’un dénouaient qui ne pouvait être que sanglant.

Au geste que fit Passe-Partout, la comtesse de Casa-Real dut croire comme eux que si elle manquait son coup, si elle ne le tuait pas, elle était morte.

Il n’en fut rien.

Passe-Partout venait bien de lever sur la créole une main armée d’un pistolet qui ne laissait jamais échapper vainement une balle.

Mais, au lieu de viser la femme, ce fut le criss malais qu’il chercha à atteindre, et, chose incroyable ! il l’atteignit.

En deux fois moins de temps qu’il ne nous en faut pour raconter cette preuve d’adresse merveilleuse, la créole se trouva arrêté dans son élan, et ne tenant plus à la main que le manche de cette arme mortelle sur laquelle s’étayait sa soif de haine et de vengeance.

La lame, brisée par la balle de Passe-Partout, avait volé en éclats.

La comtesse de Casa-Real ne pouvait en croire ses yeux.

Elle ne cessait de jeter ses regards tantôt sur sa main désarmée, tantôt