Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/679

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— Qui ça, patron, cette dame ? demanda le gamin avec respect.

— Oui, elle ; je ne puis l’abandonner ainsi, seule… Mon Dieu ! que faire ?

— Eh bien, et moi ? Je ne compte donc pour rien ? fit Mouchette en prenant une pose héroïque.

— Toi ? s’écria-t-il. Au fait, oui…, reprit-il presque aussitôt. Tu es prudent…, tu es rusé…

— Ajoutez que je suis brave, capitaine, et vous n’aurez pas fini mon daguerréotype.

— Je te confie mademoiselle.

— Elle est en bonnes mains…

— Je la mets sous ta garde.

— Si on y touche, c’est que ces six pruneaux-là seront sortis de leur bocal, répondit Mouchette, qui venait de mettre son revolver à la main et qui parlait des six balles y contenues.

— Bien. Tu resteras ici.

— Dans ce taillis ?

— Oui.

— Et j’attendrai ?

— Que je vienne vous chercher… ou que je t’envoie un de nos amis qui vous guidera soit du côté de la grotte, soit du côté du château.

— Compris, patron. Il faut balayer le chemin d’abord.

— Ce ne sera pas, long, va.

— J’ai confiance.

— Edmée, reprit le comte en pressant la jeune fille sur son cœur, vous êtes vaillante, vous m’attendrez.

— Je veux vous suivre, Noël.

— Pas dégoûtée, la demoiselle ! murmurait le gamin de Paris.

— Impossible ! répondit Noël, le sang va couler ; votre place n’est pas là où il coulera.

Cela fut dit d’une volonté si ferme, que la jeune fille, sentant l’inutilité de son insistance et de ses prières, se résigna.

— J’attendrai, fit-elle d’une voix étranglée par la douleur ; mais sachez-le et soyez-en sûr, Noël, si vous mourez, je mourrai.

— J’ai à défendre à la fois votre vie, l’honneur de votre famille, et à combattre pour le salut de tous mes compagnons. Je ne mourrai pas, Edmée, je reviendrai.

Il lui donna un dernier et chaste baiser sur le front.

Puis il partit à grands pas dans la direction de la fosse aux loups.

Mlle de l’Estang, pâle, égarée, les lèvres frémissantes, ne pouvant plus prononcer une seule parole, tomba à genoux et se mit à prier.

Mouchette, l’œil et l’oreille au guet, le poignard d’une main, son revolver de l’autre, se tenait immobile derrière elle, attendant le moment propice pour la cacher avec lui au plus épais du fourré voisin.

Là, ils pouvaient, attendre les événements en toute sûreté.

Au moment où il allait l’inviter à le suivre, deux hommes parurent au bout de l’allée.