Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/698

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— Scélérats ! murmura Martial Renaud, si jamais…

La Cigale, qui ne tenait point à s’arrêter en si beau chemin, l’interrompit sans le moindre ménagement.

— Malgré toutes ces marches et ces contremarches, ces allées et ces venues, le brave chien ne s’est pas laissé mettre dedans un seul instant.

— Il a retrouvé la piste ?

— Retrouvée ? répondit le géant avec une véritable indignation, allons donc, il ne l’a jamais perdue. Il y avait de quoi se mettre à genoux devant ce chien-là, voyez-vous.

— Va toujours, va.

— Nous ne le quittions pas d’un pouce. Mouchette relevait avec soin la route que nous suivions, et prenait des points de repère, comme le Petit Poucet, afin de s’y reconnaître plus tard.

— Combien de temps a duré cette chasse ?

— Quatre jours et presque quatre nuits. À la fin, bête et hommes, nous étions littéralement sur les dents. S’il avait fallu continuer quelques heures encore, nous mourions tous à la peine. Mais pour rien au monde, nous ne nous serions arrêtés.

« Le chien allait toujours.

« Nous faisions comme le chien.

— Achève ! dit le colonel.

— Arrivés, vers dix heures du soir, devant une espèce de ferme bâtie au milieu d’un bois touffu, et isolée de toute autre habitation, Hurrah demeure subitement immobile comme une pierre. Ses jarrets se mettent à trembler ; cette chère bête devait avoir une émotion !… J’en ai bien encore, moi, en vous racontant nos allées et nos venues. Bref, Hurrah commença par jeter deux ou trois cris plaintifs et contenus, puis il se mit à remuer la queue, et finalement il se coucha.

« Pour Frantz Keller, pour Mouchette et pour moi, il n’y avait pas à douter, c’est là que se trouvait le capitaine.

— Cher frère ! dit Martial en chassant une larme qui pointait au bord de sa paupière.

La Cigale ajouta :

— Après nous être concertés, entendus… après avoir tenu conseil, v’là ce à quoi nous avons conclu : Mouchette et Frantz Keller sont restés en observation et suivront le capitaine si on le force à quitter cette maison.

— Et tu les retrouveras, la Cigale ?

— Pardine ! oui ; nous sommes convenus qu’ils me laissent, sur leur route, des signes de reconnaissance pour que je n’aie pas besoin de courir à droite et à gauche, comme une corneille qui abat des noix.

« Moi, on m’a forcé de me coucher et de dormir quelques heures pour reprendre des forces et du nerf.

« Aussitôt réveillé, je retourne à Paris avec ce digne et bon Hurrah, qui nous était devenu inutile, et qui aurait pu éveiller des soupçons contre nous.

« On m’a chargé de vous rendre compte de notre mission.

« J’ai fait ce que j’ai pu, mon colonel, vous en savez autant que moi mainte-