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nant, et ma foi d’honnête marin je vous donne, que si vous n’êtes pas satisfait de moi, de nous tous, vous êtes diantrement difficile !

— Est-ce tout ?

— Pas encore. J’y arrive.

— Vite ! fais vite, pour Dieu !

Le colosse reprit :

— Tout en causant nous ne perdions pas la ferme de vue. Une fenêtre se trouvait éclairée au premier étage. Deux ou trois fois, nous avons vu se dessiner sur cette fenêtre une ombre qui nous a bien semblé être celle du capitaine.

« Sur les quatre heures du matin, je me suis réveillé.

« J’ai donné tout l’argent que j’avais à Frantz Keller et à Mouchette.

— Je sais ! je sais ! fit le frère du comte de Warrens.

— Je gardai dix sous pour acheter du biscuit à ce pauvre Hurrah, qui ne se doutait pas de tout le bonheur qu’il venait de me donner.

« Et nous sommes partis pour Paris, l’homme et le chien, nous entendant mieux que si nous avions été deux hommes ou deux chiens.

— Et votre voyage a duré ?

— Deux jours. Chaque jour, je faisais quinze lieues… Hurrah aussi, mais lui mangeait et buvait, moi non ; je n’aurais pas touché aux dix sous de la pauvre bête, pour le dîner que vous m’avez servi tout à l’heure. On a une parole et un cœur ! quoi !

« Enfin, nous sommes arrivés, il y a une heure.

« Vous avez vu, mon colonel, si j’ai bien employé mon temps pendant cette heure-là.

« Franchement, je crois que si j’ai bu vos trois bourguignonnes…, non… vos trois bordelaises…, je ne les avais pas volées.


XI

LE COLONEL MARTIAL RENAUD

Les Invisibles avaient écouté avec le plus vif intérêt le récit de cette curieuse odyssée.

Le débardeur avait fini de parler, qu’il les tenait encore sous le charme.

Ils admiraient le dévouement simple et sans bornes de cette vaillante nature.

Ils admiraient le rude matelot, l’ouvrier abrupt, qui racontait ces choses inouïes comme si elles étaient toutes naturelles.

Le récit de la Cigale terminé, il se fit un silence profond.

Chacun des dix membres de la grande association réfléchissait à ce qu’il venait d’entendre.

On pesait le pour et le contre.