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Inutile de constater les transports d’enthousiasme qui les accueillirent tous deux.

Chacun le sait, il était impossible d’avoir plus de voix que ces deux rossignols retraités, impossible de chanter avec plus de goût et de méthode.

Après le duo de l’Ambassadrice, vint l’air de Joseph :

Vainement Pharaon, dans sa reconnaissance,


chanté par Ponchard.

Et l’air du Domino noir :

Une fée, un bon ange…


exécuté par Mme Cinti-Damoreau.

En disant cette adorable inspiration d’Auber, la grande cantatrice mit dans sa voix tant de puissance de sentiment, tant d’intelligence pleine d’actualité, que ce fut un frémissement d’émotion dans la salle.

Ce fut surtout dans le groupe formé par la duchesse de Vérone et sa protégée, que l’effet se produisit le plus clairement.

Cette dernière pleurait, et pressant le bras de sa protectrice :

— Ah ! madame ! madame ! que c’est beau ! murmurait-elle attendrie ; jamais on n’a si bien chanté. Cela fait tout oublier !

— N’oubliez pas, répliqua la duchesse en souriant doucement, n’oubliez pas, chère enfant, que votre tour va bientôt venir.

— Oh ! je n’oserai jamais.

— Calmez-vous, et ayez confiance. Vous avez un grand talent aussi, et une voix… plus jeune… Et puis, ne craignez rien, vous serez bien soutenue… Attendez et remettez-vous.

Ponchard et Mme Cinti-Damoreau venaient de se retirer au milieu d’un tonnerre d’applaudissements.

Après un quart d’heure de piano, que Liszt remplit de ses inspirations poétiques et pleines de maestria, apparurent sur l’estrade Lablache et Ronconi, qui, avec Mario et Giulia Grisi, faisaient alors les beaux jours, c’est-à-dire les beaux soirs des Italiens.

Ils enlevèrent, avec leur succès ordinaire, le duo des Puritains’qui commence par :

Il rival salvar lu puoi

Et qui finit par l’héroïque ensemble :

Suoni la tromba, e impavido
Jo pugnero da forte

Puis, comme les artistes qui les avaient précédés, ils vinrent s’asseoir parmi les spectateurs.